
La lourde porte de la grange se referma derrière le shérif Crawford, mais le froid glacial de la cruauté qui régnait à l’intérieur semblait s’accrocher à lui. Delilah McKenna, désormais entravée par les chaînes mêmes qu’elle avait utilisées pour asservir ses fils, ne montrait ni peur ni remords. Elle restait assise là, au milieu de la paille souillée de sang, fixant le vide avec un demi-sourire de défi. Ce que Crawford et les fils McKenna n’avaient pas encore réalisé, c’est que l’arrestation de Delilah n’était pas la fin, mais le début d’un cauchemar bien plus vaste.
1. Le Registre de “Sang” et les Noms Rayés
Pendant que ses adjoints rassemblaient les preuves, Crawford se concentra sur le coffre-fort personnel de Delilah. À côté des dossiers médicaux morbides, il découvrit un carnet relié de cuir noir, usé mais soigneusement conservé.
Contrairement à ses journaux intimes délirants, ce carnet était un livre de comptes d’une froideur clinique. Il contenait l’identité de ceux qui avaient acheté les 47 enfants. En tournant les pages, les mains de Crawford se mirent à trembler. Les noms inscrits n’étaient pas seulement ceux de fermiers anonymes de la région. Il reconnut le nom d’un juge du tribunal de comté, d’un médecin renommé de la ville voisine, et même celui d’un membre du conseil de l’État.
Le plus terrifiant restait les noms barrés à l’encre rouge. À côté de chacun d’eux, Delilahavait laissé des notes succinctes : “Produit défectueux – Récupéré” ou “Non-respect du protocole d’élevage”. Crawford frissonna en réalisant que Delilah ne se contentait pas de vendre des enfants ; elle maintenait un contrôle sur leur éducation, tel un éleveur inspectant son bétail. Elle avait tissé une toile qui s’étendait bien au-delà de la vallée de Milbrook Hollow.
2. Le Silence de Thomas McKenna
À la prison du comté, les cinq frères McKenna furent placés dans des cellules séparées pour leur protection et pour les interrogatoires. Cependant, Thomas — l’aîné et le meneur de la révolte — commença à manifester un comportement étrange.
Le Dr Margaret Foster nota dans son dossier psychologique que Thomas se réveillait souvent au milieu de la nuit, hurlant les versets bibliques que sa mère lui avait inculqués. Mais ce qui inquiétait le plus les enquêteurs, c’était le murmure incessant de Thomas : “Elle regarde toujours. Elle a des yeux et des oreilles partout.”
La troisième nuit après leur incarcération, un incident mystérieux se produisit. Un adjoint de garde fut retrouvé inconscient, une marque de piqûre au cou — causée par le même sédatif que celui trouvé à la ferme McKenna. La porte de la cellule de Delilah était toujours verrouillée, elle était toujours assise calmement dans un coin, mais sur le mur de sa cellule était apparue une phrase écrite avec du sang (identifié plus tard comme du sang de rat) : “Qui sème le vent récolte la tempête. La prochaine couvée est prête.”
3. Le Procès et les Témoins Disparus
Le procès de Delilah McKenna, à l’hiver 1900, devint l’événement le plus retentissant de l’histoire des Appalaches. Pourtant, la justice ne fut pas facile à rendre.
Juste avant l’audience, deux des acheteurs d’enfants — qui avaient accepté de témoigner en échange de la clémence — disparurent subitement. Leur calèche fut retrouvée calcinée au bord d’un ravin, sans aucune trace des corps. Le shérif Crawford reçut un colis anonyme contenant un mouchoir d’enfant brodé aux armoiries de sa propre famille, accompagné d’un avertissement tacite : “Arrêtez avant qu’il ne soit trop tard.”
Au tribunal, Delilah refusa l’aide d’un avocat. Debout dans le box des accusés, elle ne plaida pas son innocence. Au lieu de cela, elle commença à prêcher. Elle regarda le jury droit dans les yeux et déclara d’une voix envoûtante : “Vous m’appelez monstre ? Je ne suis que celle qui fournit ce que ce monde désire ardemment : des enfants parfaits, dociles et de pure race. Regardez dans vos familles les plus prestigieuses, c’est mon sang qui y coule.”

Cette déclaration provoqua un tumulte. Mais le véritable choc survint lorsque Samuel, le plus jeune fils, monta à la barre. Le garçon, frêle et tremblant, révéla un ultime secret : “Mère ne faisait pas ça toute seule. Il y avait un ‘Parrain’ qui venait chercher l’argent à chaque pleine lune. Il ne montrait jamais son visage, mais il portait des chaussures avec des semelles en fer spéciales.”
4. La Chasse aux Fantômes et une Fin Ouverte
Bien que condamnée à mort par pendaison, Delilah McKenna emporta son sourire énigmatique dans la tombe en janvier 1901. Mais l’affaire ne fut jamais vraiment close.
Le shérif Crawford passa le reste de sa vie à traquer l’identité du “Parrain” et à retrouver la trace des 47 enfants vendus. Il en retrouva une vingtaine, mais la plupart avaient été complètement “endoctrinés”, manifestant des comportements violents et déviants, identiques à ceux de leur “grand-mère”.
En 1905, quatre ans après la mort de Delilah, un meurtre survint dans une ville située à 300 kilomètres de là. Un couple riche fut sauvagement assassiné dans sa propriété. La police trouva leur fils adoptif de 12 ans, assis calmement en train de dîner à côté des cadavres. Lors de son interrogatoire, l’enfant ne prononça qu’une seule phrase, une phrase qui glaça le sang des enquêteurs car elle figurait mot pour mot dans le journal de Delilah : “Il faut élaguer les branches faibles pour que l’arbre reste sain.”
Sous le plancher de la chambre de cet enfant, la police découvrit un nouveau journal intime, écrit d’une main enfantine mais imitant parfaitement le style de Delilah McKenna, ainsi qu’une paire de chaussures aux semelles ferrées, soigneusement dissimulée.
L’héritage de Delilah McKenna n’est pas mort avec elle. Il a été semé dans la génération suivante, et le “Parrain” pourrait bien être l’un des “produits” les plus parfaits qu’elle ait jamais créés.