L’Oubli Cruel d’un Géant de l’Ombre : Roger Lumont, Maître du Doublage, Disparaît dans le Silence à 91 Ans

Décembre 2025 restera un mois marqué par un silence assourdissant. Le 4 décembre, à l’âge de 91 ans, Roger Lumont, un acteur dont la carrière s’est étendue sur plus de cinq décennies, s’est éteint dans son appartement parisien. Ce qui frappe, et interroge profondément, c’est l’absence d’hommage officiel, de segment dédié sur les chaînes nationales. Comment un homme qui a consacré sa vie au théâtre, au cinéma, et surtout à la structuration du doublage français, a-t-il pu disparaître dans un tel effacement médiatique ? L’oubli collectif qui entoure la mémoire de cet artisan passionné révèle un paradoxe cruel entre la reconnaissance professionnelle et l’anonymat public.
Des Planches au Cours Simon : La Naissance d’un Artisan
Né le 21 février 1934 à Lellila, en région parisienne, Roger Lumont est issu d’un milieu modeste et ouvrier. Son amour pour la scène, nourri secrètement par les pièces radiophoniques, le mène au prestigieux Cours Simon. Dès 1963, son talent est reconnu par ses pairs, lui valant le premier prix Marcel Achard, une distinction rare qui lui ouvre immédiatement les portes du théâtre.
Il fait ses débuts dans des pièces populaires comme La Grosse Valse, partageant l’affiche avec des figures du théâtre français. Durant les années 60 et 70, il multiplie les rôles, alternant comédie et drame avec une aisance saluée par ses collègues. Si son nom reste peu connu du grand public, son jeu, subtil et nuancé, fait de lui un partenaire de choix, un “homme du métier, respecté de ses pairs”.
Dans les années 70, il s’oriente vers le cinéma, enchaînant les rôles secondaires sous la direction de grands noms comme Claude Zidi ou Michel Audiard. Son visage devient familier, mais son nom n’éclate jamais au premier plan. Lumont excelle dans cette discrétion : il est l’homme de l’ombre que l’on reconnaît sans toujours pouvoir le nommer.
Le Maître de l’Ombre : La Rigueur au Service du Doublage
Le tournant majeur de sa carrière intervient dans les années 80 avec le doublage. Au sein de Synchro France, il trouve une nouvelle forme d’expression où sa diction parfaite et son oreille musicale font merveille. Il devient une figure incontournable de la direction artistique, supervisant des séries télévisées complexes et formant des générations de comédiens aujourd’hui reconnus.
Son travail a contribué à structurer les standards professionnels du doublage en France, notamment pour sa rigueur et son souci de fidélité à l’œuvre originale. Pourtant, cette reconnaissance dans les cercles professionnels n’a jamais été assortie d’une célébrité publique. Dans une interview confidentielle en 2009, il résumait son éthique avec une lucidité désarmante : “Je n’ai pas cherché la lumière, j’ai cherché la justesse.”
Les Blessures et l’Amertume d’une Gloire Manquée

Malgré cette fidélité au métier, la carrière de Roger Lumont a été jalonnée de frustrations. Son échec le plus notable fut l’annulation brutale de sa pièce, L’Envers du décor, en 1987, faute de financement. Ce projet personnel, qui devait être son grand œuvre en tant qu’auteur et metteur en scène, le marqua durablement, le poussant à ne plus jamais évoquer ses ambitions publiques.
La décennie 1990 apporta son lot d’ombres. Avec la transformation technologique du doublage, Lumont, artisan de l’analogique, se retrouve progressivement écarté au profit de profils plus jeunes. Ce sentiment d’injustice, renforcé par le silence poli de certains collègues, généra une amertume qu’il a rarement exprimée. Il confia un jour : “Le problème, ce n’est pas d’être dans l’ombre, c’est de ne jamais voir la lumière, même quand on la mérite.”
En 2011, il résumait son paradoxe professionnel dans un podcast confidentiel : “J’ai été un ouvrier de l’émotion, mais le pays ne célèbre que les architectes.” Ces mots incarnent la souffrance d’un homme essentiel mais effacé, dont la grandeur résidait dans l’invisible.
Le Départ Silencieux : Un “Personnage en Attente de sa Dernière Scène”
Les dernières années de Roger Lumont furent marquées par une solitude croissante et un retrait total de la vie publique après 2015, en partie dû à une fatigue et à une perte progressive de l’audition. Il vivait loin des projecteurs, dans un modeste appartement du 14e arrondissement de Paris.
C’est là qu’il est décédé, probablement le soir du mardi 3 décembre 2025. Inquiète, sa nièce, unique héritière et seule personne avec qui il entretenait un lien régulier, contacte la gardienne. Le corps est découvert le lendemain, 4 décembre, allongé dans son fauteuil, la radio encore allumée en sourdine sur une station de musique classique. Le décès est survenu naturellement, sans lutte.
Aucun mot d’adieu n’a été retrouvé, mais un exemplaire usé de Cyrano de Bergerac reposait sur une table basse, la page cornée au célèbre monologue : “C’est un roc ! c’est un pic ! c’est un cap !”
Plus bouleversant encore, une lettre retrouvée par sa nièce témoigne de sa lucidité mélancolique face à son effacement : “Je suis comme un personnage en attente de sa dernière scène, mais personne ne m’a encore remis le script.”
L’Écho le Plus Durable : La Voix de Velours
Le décès de Roger Lumont a été annoncé discrètement le 5 décembre par quelques sites spécialisés. Le silence des grandes institutions fut total. Pas d’hommage du Ministère de la Culture, pas de mention dans les journaux télévisés. Seuls quelques professionnels du doublage ont partagé leur tristesse sur les réseaux sociaux. L’actrice Dominique Colignon-Morin a ainsi salué une “voix de velours, un maître de la discrétion” qui leur a appris “à écouter avant de parler.”
Ses cendres ont été déposées le 9 décembre dans le colombarium du cimetière du Père Lachaise, lors d’une cérémonie intime réunissant une quinzaine de proches, sans discours officiel, mais avec la lecture de textes qu’il aimait.
Roger Lumont est mort comme il a vécu : discrètement, avec une dignité inébranlable, choisissant la pénombre rassurante de ses souvenirs. Il ne laisse ni enfant, ni fortune notable, mais une éthique de travail irréprochable et un héritage invisible dans la mémoire auditive du cinéma français. Au fond, cet oubli médiatique, c’est peut-être le seul hommage qu’il aurait accepté : celui du silence, d’un homme qui a toujours préféré la justesse du travail bien fait au bruit des projecteurs.