
Pour la plupart des gens, une transfusion sanguine est une simple formalité. Mais pour Brielle, c’est un symbole. C’est la preuve que son petit corps est ravagé par une maladie implacable. Chaque jour où elle est éveillée, chaque rire, chaque question, chaque mot murmuré dans le calme, devient un précieux souvenir, un instant que nous chérissons car nous ne pouvons pas être certains qu’il y en aura un autre. Et la transfusion elle-même, bien que nécessaire, porte en elle le poids de la réalité : le fait indéniable que sa moelle osseuse est à bout de souffle, que son corps risque de ne pas pouvoir suivre, que chaque cellule travaille sans relâche pour lui permettre de respirer un jour de plus.

Les signes sont d’abord subtils. Elle est moins éveillée. Elle passe de plus longues périodes recroquevillée sous sa couverture, les yeux mi-clos, trop épuisée pour se redresser et parler. Elle a besoin de plus d’oxygène pour maintenir son taux d’oxygène stable, et même boire devient plus lent, car son corps est trop exténué pour faire le moindre effort. La regarder, c’est comme se tenir au bord d’une falaise, sans savoir si le prochain pas est sûr ou si le sol va se dérober sous ses pieds. C’est terrifiant, cette fragile danse entre espoir et peur.

Nous essayons de nous concentrer sur les moments qui nous appartiennent. Chaque conversation avec elle, chaque histoire qu’elle raconte, chaque blague, chaque petite plainte concernant la faim ou la fatigue, est gravée dans notre mémoire à long terme comme si notre vie en dépendait. Car, d’une certaine manière, c’est le cas. Je ne peux imaginer ne plus jamais entendre sa voix. Son timbre – les intonations, le rythme, son rire sincère – est irremplaçable. Il est indissociable de notre famille, et l’idée de le voir disparaître est insupportable.

Le mois d’août me paraît si loin, et pourtant, c’était hier seulement que nous avons réalisé la gravité de la situation. La panique, les lumières de l’hôpital, l’odeur stérile de désinfectant et d’antiseptique, le ballet incessant des infirmières, le bourdonnement constant des machines… ces images sont gravées dans ma mémoire. Chaque fois que je ferme les yeux, je revois son petit corps allongé sur le lit d’hôpital, des fils et des tubes partout, les yeux grands ouverts, comptant sur nous pour tenir le coup et faire en sorte que tout aille bien. C’est impossible à expliquer à quiconque n’a pas vécu ces jours, ces nuits, ces semaines d’incertitude, à espérer et prier sans cesse pour que le prochain diagnostic ne soit pas synonyme de terrible nouvelle.

Le courage dont Brielle fait preuve durant tout cela est indescriptible. Elle ne se plaint ni des piqûres ni des examens, même si je sais qu’ils font mal. Elle ne pleure pas quand on lui pose la perfusion ou qu’on lui fait une prise de sang, même si je vois la tension dans ses petites mains et le tressaillement de ses épaules. Elle nous regarde simplement, un mélange de confusion, de confiance et d’autre chose encore – quelque chose qui la dépasse. Elle a appris que la vie a des règles cruelles, qu’il y a des moments où l’on n’a aucun contrôle sur son corps ni sur son avenir, et pourtant, d’une manière ou d’une autre, elle les affronte avec un courage qui me remplit d’humilité.

Mais la fatigue, la maladie, se manifestent par petites touches. Certains jours, elle n’a pas l’énergie de jouer. Elle n’arrive pas à finir son petit-déjeuner, ni à boire un verre de jus entier. Et ces petites choses – qui devraient être de simples plaintes d’enfant – prennent une importance démesurée dans son quotidien. Chaque gorgée non prise, chaque repas non mangé, lui rappelle la fragilité de sa santé. Et chaque fois qu’elle a besoin d’oxygène, notre cœur se serre, car nous savons que ce n’est pas qu’un chiffre sur un graphique : c’est le reflet du combat de sa moelle osseuse, de tout ce que son corps a déjà enduré et de sa capacité limitée à continuer le combat sans aide.

Nous sommes devenus experts pour décrypter les signes discrets, pour remarquer les changements subtils qui indiquent qu’elle est plus fatiguée que d’habitude, que son corps réclame peut-être bientôt une transfusion. Chaque tressaillement, chaque pause dans sa respiration, chaque mot murmuré est analysé et mémorisé, comme une image instantanée. Nous essayons de nous préparer à la suite tout en restant pleinement présents, en lui tenant la main pendant son sommeil, en observant sa poitrine se soulever et s’abaisser, sachant que cet instant précis est un cadeau.

L’attente de la transfusion s’accompagne d’un mélange de soulagement et de terreur. Soulagement, car si elle en a besoin, cela l’aidera, cela apportera à sa moelle osseuse le soutien qu’elle ne peut assurer seule. Terrification, car ce besoin est la preuve que son corps lutte pour survivre, que nous sommes tout près du précipice que nous avons préféré ignorer. C’est un étrange paradoxe : souhaiter cette aide pour son corps tout en craignant ce qu’elle révèle sur son état de santé.

Dans ces moments-là, nous lui parlons doucement, lui disant des choses qui pourraient paraître insignifiantes aux yeux des autres : « Tu te débrouilles si bien, Brielle », « On t’aime tellement », « On est là. » Mais intérieurement, chaque mot porte le poids de notre peur, l’espoir qu’elle nous entende et comprenne non seulement notre amour, mais aussi l’urgence, la fragilité et le désir absolu de savourer chaque instant. Chaque conversation est précieuse car chacune pourrait être la dernière. Chaque rire partagé, chaque réponse à une question, chaque sourire est une victoire.

Alors même que nous lui parlons, je remarque la réaction de son petit corps. Elle se blottit contre nous, un léger sourire aux lèvres, les yeux mi-clos mais brillants. C’est comme si elle savait, à sa manière, que nous la tenons serrée contre nous de toutes nos forces – non seulement physiquement, mais aussi émotionnellement et spirituellement. Cela nous rappelle combien les enfants peuvent être résilients, même lorsque le monde est cruel et imprévisible.

La nuit invite à une tout autre forme de réflexion. La maison est silencieuse, les lumières tamisées, et seuls le souffle léger de Brielle et le bruissement occasionnel des draps viennent troubler le silence. À ces heures-là, mon esprit s’emballe, passant en revue les possibilités, les projets, les incertitudes. Je pense à la transfusion de demain, aux diagnostics des médecins, aux complications potentielles. Et je réalise que, peu importe le nombre de scénarios que j’envisage, aucun ne me semble complet sans son rire, sa voix, sa présence.
Plus son corps montre des signes de souffrance, plus la réalité de sa maladie nous pèse. Moins d’éveil, moins d’énergie, besoin accru d’oxygène : c’est une lente accumulation de preuves, chacune racontant la même histoire : sa moelle osseuse ne parvient plus à suivre. Et pourtant, malgré tout, elle continue de se battre. Elle continue de vivre. Et nous sommes là, prêts à tout pour la protéger, à tout pour lui offrir la vie qui lui revient de droit, prêts à tout pour nous souvenir de chaque instant, de chaque détail.

Nous parlons de l’avenir par bribes. Non pas en termes de projets ou d’horaires, mais en termes d’espoirs : l’espoir de plus de rires, de plus de conversations, de plus d’histoires avant de dormir. Chaque espoir est empreint de la conscience qu’il ne faut rien tenir pour acquis. Chacun est précieux, car chacun pourrait être le dernier. Chaque mot échangé devient un souvenir précieusement conservé, délibérément, comme pour l’inscrire à jamais.
Parfois, en la regardant dormir, j’imagine une vie ordinaire : l’école, les anniversaires, les amitiés, les bals, le sport, les remises de diplômes. J’imagine sa voix, toujours aussi claire, toujours aussi curieuse, toujours aussi riante. Et puis je me souviens que la réalité est différente, que sa vie ne s’est pas mesurée en étapes ordinaires, mais en taux d’oxygène, en numérations sanguines, en transfusions. Et pourtant, dans ce petit corps fragile, brillent un courage et une lumière qui surpassent tout.
La peur ne disparaît jamais. Elle fluctue, s’apaisant un peu lorsqu’elle dort paisiblement, resurgissant à l’approche des examens du lendemain. Elle est tapie dans nos pensées, un murmure constant qui accompagne chaque conversation, chaque sourire, chaque instant de silence. Et pourtant, malgré cette peur, l’espoir demeure : l’espoir que la transfusion sera efficace, l’espoir que sa moelle osseuse se régénère, l’espoir qu’elle continue à vivre, à rire, à être Brielle.
Nous sommes contraints de vivre dans la tension entre la peur et l’espoir, entre la fragilité de son corps et la force de son esprit. Nous sommes contraints de remarquer chaque respiration, chaque petit mouvement, chaque nuance de son expression. Et ce faisant, nous prenons pleinement conscience de la profondeur de l’amour qui peut exister pour un enfant. C’est une conscience omniprésente, une attention qui aiguise les sens, un rappel que la vie est à la fois précieuse et fragile.
Ce soir, je suis assise près d’elle, j’écoute sa respiration régulière, et je caresse le contour de sa petite main. Chaque trait, chaque contour devient un souvenir. Je veux tout garder en mémoire : la chaleur, la douceur, le rythme de la vie qui l’anime. Chaque soupir, chaque murmure, chaque clignement d’œil est un trésor. Et je sais que demain, quels que soient les résultats de sa prise de sang, nous y ferons face ensemble.
Car au cœur de cette épreuve, il y a de la clarté. Il y a un but. Il y a la profonde conviction que chaque instant passé avec elle est un cadeau. Et si les transfusions, l’oxygène, la fatigue – tout cela témoigne d’un corps assiégé – il y a aussi une histoire de courage, d’amour, de présence. Brielle n’est pas définie uniquement par sa maladie ; elle est définie par sa force, son esprit, sa capacité à apporter joie et amour même dans les moments les plus sombres.
Alors, nous nous préparons pour demain. Nous lui parlons doucement, nous la serrons contre nous, nous savourons chaque mot, chaque geste, sachant que ce sont ces choses qui demeurent. Dans nos cœurs, chaque rire, chaque conversation, chaque regard échangé s’imprègne. Nous les gardons précieusement car nous connaissons la fragilité de la vie, car nous savons que rien n’est acquis, car nous l’aimons plus que les mots ne sauraient l’exprimer.
Le chemin de Brielle est loin d’être terminé, mais ce soir, alors qu’elle dort plus qu’elle ne l’a fait depuis des mois, une force tranquille nous anime. Un amour profond, silencieux mais palpable, nous unit. Nous sommes reconnaissants pour ce bref répit. Et nous avons pris l’engagement d’être à ses côtés, de nous souvenir de chaque instant, d’affronter le lendemain avec courage, malgré la peur qui plane.

Parce que la vie avec Brielle est une succession d’instants, tous précieux, tous fugaces, tous dignes d’être immortalisés. Et tant qu’elle sera là, nous continuerons de chérir chaque mot, chaque rire, chaque souffle, au plus profond de nos cœurs. Chaque jour est un cadeau, chaque instant un miracle, et chaque conversation avec elle un trésor inestimable.
Ces trois derniers jours offrent un répit, mais demain se profile à l’horizon, et la transfusion lui rappellera la fragilité de sa jeune vie. Pourtant, à chaque battement de cœur, à chaque soupir, à chaque petite main tenue, il y a du courage. Et dans ce courage, il y a de l’espoir. Et dans cet espoir, il y a de l’amour – cet amour capable de surmonter la peur, de résister au chagrin et de nous porter tout au long du long et incertain voyage qui nous attend.

L’histoire de Brielle est une histoire de survie, de ténacité et de la préciosité de chaque jour. C’est l’histoire de parents qui s’accrochent à chaque instant comme à une bouée de sauvetage, d’une famille qui apprend à composer avec la peur et l’espoir, et d’une petite fille qui nous enseigne à tous comment vivre pleinement, même lorsque la vie est imprévisible et terrifiante.
Et tandis que je suis assise ici, à la regarder respirer, je murmure une promesse silencieuse : que chaque mot restera gravé dans ma mémoire, chaque rire conservé, chaque instant chéri. Que même après la transfusion, même lorsque les examens confirmeront la vérité que nous redoutons, nous continuerons de l’aimer de tout notre cœur. Parce qu’elle le mérite. Parce qu’elle est Brielle. Et parce que quoi que demain nous réserve, ces moments – ces heures, ces respirations, ces conversations silencieuses – nous appartiennent pour toujours.