Coup de tonnerre au Sénat après l’intervention magistrale de ce grand journaliste !

C’est un moment de télévision rare, une de ces séquences qui devraient être diffusées dans toutes les écoles de journalisme et les facultés de droit, mais aussi et surtout, sur toutes les chaînes de grande écoute à une heure de forte audience. Pourtant, c’est dans l’ambiance feutrée, presque confidentielle, d’une commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance financière que la foudre est tombée.
Fabrice Arfi, journaliste d’investigation chevronné et codirecteur des enquêtes à Mediapart, ne s’est pas contenté de répondre poliment aux questions des parlementaires. Il a littéralement tendu un miroir à la classe politique française, un miroir dans lequel le reflet de notre République apparaît fissuré, terni par des décennies d’arrangements, de déni et d’impunité. Son intervention, d’une clarté chirurgicale, dépasse le simple constat : c’est un électrochoc démocratique.
Le “CV judiciaire” accablant de la Ve République
Dès les premières minutes, le ton est donné. Pas de circonvolutions, pas de langage technocratique. Fabrice Arfi pose les faits, bruts et implacables. Il rappelle une réalité que l’habitude a fini par banaliser, mais qui, vue de l’extérieur, est tout bonnement hallucinante pour une démocratie moderne.
« On est citoyennes et citoyens d’un pays qui a déjà eu un président de la République définitivement condamné pour des atteintes à la probité, il s’appelle Jacques Chirac. Dont le Premier ministre a été définitivement condamné… il s’appelle Alain Juppé. Dont le successeur… a été définitivement condamné, il s’appelle Nicolas Sarkozy. Et dont le Premier ministre a été définitivement condamné, il s’appelle François Fillon. »
La liste est égrenée calmement, mais l’effet est dévastateur. Deux chefs d’État, deux chefs de gouvernement. Quel autre grand pays occidental peut présenter un tel “CV judiciaire” ? En posant cette question rhétorique, Arfi souligne l’anomalie française. Ce n’est pas un accident de parcours, c’est systémique. Et pour couper court à toute accusation de partisanerie, il n’épargne personne : de Jérôme Cahuzac, ministre du Budget fraudeur sous Hollande, aux affaires touchant l’entourage d’Emmanuel Macron, en passant par les démêlés du Rassemblement National ou de la France Insoumise. Le constat est transpartisan : la gangrène de l’argent sale ne connaît pas de couleur politique.
L’inversion des valeurs : quand les coupables font le procès de la justice
L’un des points les plus percutants de cette audition réside dans l’analyse de la réaction des puissants face à la justice. Fabrice Arfi décrit avec brio ce qu’il nomme un « renversement de perspective proprement sidérant ».
Dans une affaire de droit commun, un délinquant se fait petit. Dans la délinquance financière, le mis en cause, fort de ses réseaux politiques et médiatiques, contre-attaque. Il sature l’espace public pour imposer son narratif. On assiste alors à un spectacle indécent où des anciens présidents ou ministres, invités sur les plateaux de télévision aux heures de grande écoute, se permettent de comparer les policiers de l’office anticorruption à la Stasi ou de crier au complot des juges.
Cette stratégie de défense, qui consiste à délégitimer l’institution judiciaire pour sauver sa peau, est un poison lent. Elle instille dans l’opinion publique l’idée dangereuse que la justice serait militante, politisée, voire corrompue. C’est le terreau fertile du populisme antijudiciaire, une rhétorique que l’on retrouve chez Trump, Bolsonaro ou Berlusconi. En France, cette musique-là est jouée par ceux-là mêmes qui, par ailleurs, réclament la tolérance zéro pour la délinquance de rue. Deux poids, deux mesures : une justice implacable pour les faibles, une justice négociable ou contestable pour les puissants.
Le coût exorbitant de l’impunité : “C’est votre argent”
Pourquoi ces affaires semblent-elles parfois glisser sur l’opinion publique comme de l’eau sur les plumes d’un canard ? Sans doute parce qu’on les présente souvent comme complexes, techniques, lointaines. Fabrice Arfi s’insurge contre cette complexité artificielle. La corruption, ce n’est pas abstrait. C’est la rencontre du pouvoir et de l’argent, et cet argent, c’est le vôtre.
Chaque euro détourné, chaque fraude fiscale, chaque marché public truqué représente une richesse qui échappe à la nation. Ce sont des hôpitaux moins équipés, des écoles moins rénovées, des services publics en souffrance. Le coût financier est colossal, bien que difficilement chiffrable précisément faute d’études suffisantes en France.
Mais au-delà du coût financier, il y a le coût démocratique. Le sentiment du « tous pourris » n’est pas né de nulle part. Il est le fruit amer de cette impunité visible. Lorsque le citoyen lambda voit qu’un ministre en exercice peut rester en poste tout en étant mis en examen, ou qu’une entreprise peut payer une amende (via une Convention Judiciaire d’Intérêt Public) pour éviter un procès public et laver son casier, le contrat social se déchire.
Arfi cite une statistique du ministère de l’Intérieur passée totalement inaperçue : entre 2016 et 2021, les atteintes à la probité ont augmenté de 28 %. Imaginez un instant si les cambriolages ou les agressions augmentaient de 28 %. Ce serait l’ouverture de tous les journaux télévisés, le gouvernement annoncerait un plan d’urgence, l’opinion serait en émoi. Ici ? Rien. Le silence. Une indifférence coupable qui permet au phénomène de prospérer.
La fable de la grenouille et la fatigue démocratique
Pour illustrer notre apathie collective, le journaliste utilise la métaphore bien connue de la grenouille. Plongée dans une eau bouillante, elle bondirait hors de la casserole pour sauver sa vie. Mais plongée dans une eau tiède portée lentement à ébullition, elle s’engourdit, s’habitue à la température, et finit par mourir ébouillantée sans avoir tenté de fuir.
Nous sommes ces grenouilles. Nous nous habituons à la corruption. Nous nous habituons aux conflits d’intérêts. Nous finissons par trouver “normal” ou “inévitable” ce qui devrait nous révolter. Cette accoutumance est mortelle pour la démocratie. Elle nourrit l’abstention, la colère froide et, in fine, le vote pour les extrêmes qui promettent de “renverser la table” tout en participant souvent au même festin.
La France, patrie des Droits de l’Homme, a chuté à la 25ème place du classement de Transparency International sur la perception de la corruption. Une dégringolade qui devrait nous faire rougir de honte.
Des moyens dérisoires face à une criminalité qui s’adapte

L’intervention met également en lumière la disproportion des armes. Face à une délinquance financière mondialisée, agile, capable de payer les meilleurs avocats et de déplacer des fonds de Singapour à Dubaï en un clic, que fait l’État ? Il laisse ses services d’enquête en sous-effectif chronique.
L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) manque d’enquêteurs. Le Parquet National Financier (PNF), bien que créé sous la pression populaire après l’affaire Cahuzac, doit se battre avec des moyens limités. Fabrice Arfi souligne l’absurdité de la situation : ces enquêteurs ne sont pas un “coût” pour l’État, ils sont un investissement ultra-rentable. Ils rapportent des milliards d’euros dans les caisses publiques en traquant la fraude. Pourtant, on les laisse en nombre insuffisant, épuisés, face à une montagne de dossiers.
De plus, le journaliste pointe du doigt le manque d’indépendance structurelle du parquet en France, une anomalie pointée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Tant que les procureurs seront nommés ou dépendants hiérarchiquement du pouvoir politique (le Garde des Sceaux), le soupçon d’instrumentalisation persistera, alimentant la machine à complotisme des mis en cause.
Une prise de conscience nécessaire
Fabrice Arfi ne se contente pas de peindre un tableau noir. Il rappelle que les avancées existent – la création du PNF, de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), la fin du secret bancaire suisse – mais qu’elles sont toujours nées “dans la secousse” d’un scandale, jamais d’une volonté politique spontanée. C’est toujours le mur de la réalité et la colère du peuple qui ont forcé les dirigeants à agir.
Alors, que faut-il retenir de ce grand moment de vérité au Sénat ? Que la bataille pour la probité n’est jamais gagnée. Qu’elle nécessite une vigilance citoyenne de tous les instants. Et surtout, que nous devons refuser collectivement d’être des grenouilles dans l’eau tiède. La corruption n’est pas une fatalité culturelle française, c’est un choix politique de ne pas la combattre avec assez de force.
Il est temps de sortir du bocal.