Dernier moment de Biyouna – Le message bouleversant retrouvé après sa mort
C’était une matinée brumeuse sur les hauteurs d’Alger, de celles où le ciel semble hésiter entre la lumière et les larmes. Ce 25 novembre 2025, à 5h43 précises, le cœur de l’Algérie a raté un battement. Baya Bouzar, que le monde entier chérissait sous le nom de Biyouna, s’est éteinte. Mais ne cherchez pas les flashs des photographes, les cortèges officiels ou les pleureuses professionnelles. Il n’y en avait pas. Dans la chambre stérile du service de pneumologie de l’hôpital de Beni Messous, il n’y avait que le bourdonnement régulier des machines et la voix lointaine d’Oum Kalthoum s’échappant d’une vieille radio usée. La plus grande voix libre du Maghreb a choisi de partir sur la pointe des pieds, laissant derrière elle un testament moral qui résonne aujourd’hui comme un coup de tonnerre.
La Fin d’une Époque : Le Choix du Silence
La nouvelle est tombée comme un couperet, courte, brutale, relayée par un communiqué ministériel presque timide : “L’artiste Biyouna nous a quittés.” Pas de détails, pas d’effusion. C’était sa volonté. Celle qui avait incarné l’exubérance, la gouaille et la vie dans ce qu’elle a de plus bruyant, a exigé pour sa mort “le noir complet”.
Depuis 2022, la maladie rongeait ses poumons, une bataille qu’elle a menée dans le secret absolu de son appartement d’El Madania. Elle refusait qu’on la voie diminuée, préférant s’enfermer dans une solitude digne plutôt que de devenir un objet de pitié publique. “Je ne suis pas là pour réciter des slogans, je suis là pour dire la vie”, avait-elle lancé un jour à un directeur de chaîne qui voulait la censurer. À la fin, elle a choisi de dire la mort à sa manière : sans spectateurs.
L’image est saisissante : une table de chevet, un flacon d’oxygène vide, et une photo en noir et blanc. C’est tout ce qui restait. Sa nièce est arrivée une heure trop tard, trouvant un lit déjà recouvert d’un drap blanc. Biyouna avait réussi sa sortie, esquivant une dernière fois les regards qu’elle ne maîtrisait pas.
Le Message Retrouvé : Une Vérité qui Dérange
Cependant, le véritable choc est survenu quelques jours après l’inhumation. Sur sa table de nuit, une enveloppe. À l’intérieur, une phrase manuscrite en arabe, tracée d’une main affaiblie mais ferme : “Ceux qui rient ne sont pas toujours heureux.”
Ces quelques mots, simples en apparence, sont d’une violence inouïe. Ils déchirent le voile de la “comique de service” que beaucoup voulaient lui coller à la peau. Ils nous rappellent que derrière la “Madame Aldjeria” de Délice Paloma, derrière la mère abusive et hilarante d’Inch’Allah Dimanche, il y avait une femme aux blessures profondes. Une femme qui, une fois les projecteurs éteints, rentrait chez elle pour affronter un silence “lourd”, comme le confiait une amie proche. Biyouna n’était pas seulement celle qui faisait rire ; elle était celle qui absorbait la douleur d’une société tiraillée pour la transformer en art.
Une Rebelle Jusqu’au Dernier Souffle
Sa carrière fut une longue insurrection. Née en 1952 à Belcourt, elle a commencé à 17 ans dans les cabarets, bravant l’opprobre d’une société conservatrice qui voyait d’un mauvais œil cette liberté féminine trop visible. On l’a traitée de tous les noms, on a voulu la faire taire, les barbus ont menacé, les censeurs ont coupé. Mais Biyouna est restée debout.
Même à l’article de la mort, son esprit de résistance n’a pas faibli. En 2023, approchée par Netflix pour une série, elle a claqué la porte. La raison ? Elle refusait de jouer une femme “victime”. Elle voulait un personnage libre. Ce refus, qui lui a coûté un dernier grand succès international, est peut-être sa plus belle médaille. Elle a préféré l’intégrité à la visibilité.
Même malade, elle continuait de corriger les blagues des jeunes humoristes sur Instagram via des messages vocaux, leur rappelant qu’il faut “taper là où ça fait rire et mal en même temps”. C’était ça, la méthode Biyouna : une lucidité mordante qui ne s’embarrassait pas de politesse.
Un Héritage Sans Héritier
Aujourd’hui, alors que les hommages pleuvent sur les réseaux sociaux — de Camélia Jordana à Nadir Moknèche — une étrange sérénité règne autour de son départ. Pas de guerre d’héritage, pas de fortune cachée. Son appartement revient à ses nièces, point final. Elle est partie “proprement”, comme elle le souhaitait.
Son enterrement au cimetière d’El Alia fut à son image : intime. Quelques voisins, des proches, pas de caméras. Elle repose non loin de Kateb Yacine, un autre insoumis. Sur sa tombe, une simple plaque : “Baya Bouzar 1952-2025”.

Pourtant, le vide qu’elle laisse est immense. Elle incarnait une Algérie plurielle, métissée, urbaine et indomptable. Une Algérie qui refuse de baisser les yeux. Sa disparition pose une question cruelle à notre époque obsédée par l’image et le buzz : savons-nous encore respecter le silence des grands ?
Biyouna n’est plus là pour rire, ni pour faire rire. Mais son dernier message nous oblige à écouter ce qu’elle a tu pendant toutes ces années. Elle a tiré sa révérence sans demander d’applaudissements, nous laissant seuls avec notre chagrin et cette vérité cinglante griffonnée sur un bout de papier. Adieu, Madame. Et merci pour le rire, merci pour les larmes, et surtout, merci pour ce dernier silence magistral.