Le “Tueur aux dents de travers” : Comment une simple morsure a envoyé un innocent dans le couloir de la mort pendant 10 ans

C’était une nuit froide de décembre 1991 à Phoenix, en Arizona. Le CBS Lounge, un bar populaire du centre-ville, venait de fermer ses portes. Kim Ancona, la gérante de 36 ans, aimée de tous pour sa joie de vivre, s’apprêtait à rentrer chez elle. Elle n’en sortira jamais vivante.
Le lendemain matin, son corps sans vie est découvert dans les toilettes des hommes. La scène est d’une violence inouïe : Kim a été poignardée à de multiples reprises. Mais un détail macabre attire l’attention des enquêteurs : une trace de morsure profonde sur son corps. C’est cet indice, censé être la signature du tueur, qui va déclencher l’une des plus grandes erreurs judiciaires de l’histoire de l’Arizona.
Le coupable idéal
La police se tourne rapidement vers les habitués du bar. Un nom ressort : Ray Krone. Ancien vétéran de l’US Air Force, facteur sans histoire, il aidait parfois Kim à fermer le bar. Mais Ray a une particularité physique : une dentition irrégulière, avec une incisive décalée. Pour les enquêteurs sous pression, c’est suffisant. Ils tiennent leur homme.
Sans empreintes digitales concluantes, sans témoin oculaire, l’accusation repose tout son dossier sur cette morsure. Un expert en odontologie légale affirme avec aplomb au tribunal que la dentition de Ray correspond “parfaitement” à la marque laissée sur la victime. La presse s’empare de l’affaire et surnomme Ray Krone le “Snaggletooth Killer” (le tueur aux dents de travers). Malgré ses cris d’innocence et un alibi solide, le jury le condamne à la peine de mort en 1992.
L’enfer du couloir de la mort
Ray Krone passe trois ans dans le couloir de la mort, attendant son exécution. En 1995, il obtient un nouveau procès, mais le verdict reste le même : coupable. Cette fois, il est condamné à la prison à vie. Au total, Ray passera plus de 10 ans derrière les barreaux, voyant sa jeunesse et sa vie lui être volées jour après jour, victime d’une “science” qui s’avérera être du charlatanisme.
Car pendant que Ray croupissait en prison, le véritable tueur était libre. Pire, il vivait à moins de 500 mètres du bar où Kim avait été assassinée.
La vérité par l’ADN

Le tournant de l’affaire arrive en 2002. De nouvelles lois en Arizona permettent aux condamnés de demander des tests ADN post-condamnation. Les avocats de Ray saisissent cette chance. Les vêtements de Kim Ancona, conservés sous scellés, sont analysés avec des technologies modernes.
Le résultat est un coup de tonnerre : l’ADN retrouvé sur la victime n’est pas celui de Ray Krone. Il appartient à un homme nommé Kenneth Phillips.
Phillips est un prédateur sexuel déjà incarcéré pour d’autres crimes. Le soir du meurtre, il vivait tout près du CBS Lounge. Confronté aux preuves irréfutables, l’analyse de sa dentition correspondra… bien mieux que celle de Ray. Phillips finira par avouer qu’il s’était réveillé ce lendemain de meurtre avec les mains en sang, sans souvenir précis, mais l’ADN ne mentait pas.
Libre, mais marqué à vie
Le 8 avril 2002, Ray Krone est officiellement exonéré et libéré. Il devient la 100ème personne aux États-Unis à être innocentée du couloir de la mort grâce à l’ADN.
Ray a reçu une compensation de plusieurs millions de dollars, mais comme il le dit lui-même, aucun chèque ne peut rembourser dix années de vie, ni effacer le traumatisme d’avoir été traité comme un monstre par la société et la justice. Aujourd’hui, il milite activement pour l’abolition de la peine de mort et contre l’utilisation de preuves “scientifiques” non fiables, comme les analyses de morsures, qui ont envoyé tant d’innocents en prison.
L’affaire Kim Ancona reste un rappel tragique : la justice des hommes est faillible, et sans la science impartiale de l’ADN, un innocent aurait payé de sa vie le crime d’un autre.