
Marie Antoinette. Ce nom évoque instantanément l’image d’une reine frivole, de perruques extravagantes et de la chute brutale de la monarchie française. Pourtant, derrière les dorures de Versailles et les rumeurs malveillantes de Paris, se cache une réalité bien plus poignante : celle d’une mère dévouée dont l’existence fut marquée par une série de deuils insurmontables et une cruauté humaine dépassant l’entendement. L’histoire de Marie Antoinette est intrinsèquement liée à celle de ses dix enfants — quatre biologiques et six adoptés — dont la majorité a été broyée par les rouages impitoyables de la Révolution.
Née Maria Antonia en 1755 à Vienne, rien ne la destinait à devenir la cible de la haine d’un peuple. Benjamine négligée par sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, elle grandit dans une liberté relative avant d’être envoyée à quatorze ans en France pour sceller une alliance politique. Ce voyage sans retour marque le début d’une transformation forcée. À la frontière, elle doit tout abandonner : ses vêtements, ses dames de compagnie et même son identité autrichienne pour devenir Marie Antoinette. Son mariage avec le dauphin Louis, futur Louis XVI, restera non consommé pendant sept longues années, l’exposant aux moqueries cruelles de la cour de Versailles.
C’est dans la maternité que Marie Antoinette trouve enfin son véritable but. Après des années d’attente, elle donne naissance à Marie-Thérèse Charlotte en 1778, suivie de Louis-Joseph, Louis-Charles et Sophie-Béatrice. Mais la reine ne s’arrête pas là. Dotée d’une fibre maternelle exceptionnelle, elle adopte six autres enfants, des orphelins de diverses origines, dont Jean Amilcar, un jeune garçon du Sénégal qu’elle libère de l’esclavage, et Ernestine Lambriquet, élevée aux côtés de sa propre fille. Elle cherche à leur offrir une vie plus simple, loin de l’étiquette étouffante de la cour, au Petit Trianon, un refuge pastoral que le peuple finira par percevoir comme une insulte à sa misère.

Le vent tourne violemment en 1789. Alors que la reine pleure la mort de son fils aîné, Louis-Joseph, emporté par la tuberculose à l’âge de sept ans, la Révolution éclate. La foule en colère marche sur Versailles. Marie Antoinette échappe de peu à la mort dans ses appartements avant d’être ramenée de force à Paris avec sa famille. La vie dorée s’efface pour laisser place à l’obscurité de la prison du Temple. Là, elle tente de maintenir un semblant de normalité pour ses enfants restants, leur faisant la classe et leur lisant des histoires sous l’œil malveillant de gardiens grossiers.
L’année 1793 scelle son destin. Après l’exécution de Louis XVI, le coup de grâce lui est porté lorsqu’on lui arrache son fils, Louis-Charles, âgé de seulement huit ans. Séparé de sa mère, le jeune dauphin subit des sévices physiques et psychologiques atroces. On le force à signer des dépositions accusant sa propre mère d’inceste, une infamie qui hantera Marie Antoinette jusqu’à son procès. Sa cellule à la Conciergerie, humide et glaciale, devient l’antichambre de sa mort. Malgré la déchéance physique, elle conserve une dignité royale jusqu’à l’échafaud, s’excusant même auprès du bourreau après lui avoir accidentellement marché sur le pied.
Le sort de ses enfants après sa mort est tout aussi déchirant. Louis-Charles meurt en 1795 dans des conditions d’isolement inhumaines, son corps marqué par les mauvais traitements. Seule Marie-Thérèse Charlotte, “Madame Royale”, survivra à cet enfer, libérée à l’âge de 17 ans après avoir passé des mois sans aucune nouvelle de sa famille exécutée. Les enfants adoptifs, quant à eux, connaîtront des destins divers, entre engagement révolutionnaire et disparition dans l’anonymat de l’histoire.
Marie Antoinette restera à jamais une figure de contraste : une reine victime de son époque et de ses erreurs de jugement, mais surtout une mère dont l’amour pour ses enfants a surpassé son attachement à la couronne. Sur les dix enfants qu’elle a chéris, un seul a survécu à la tourmente révolutionnaire, laissant derrière elle le récit d’une famille royale dont la chute fut l’une des tragédies les plus poignantes de l’histoire de l’humanité.