L’histoire criminelle française est jalonnée de noms qui glacent le sang, de Landru à Guy Georges. Mais avant que le terrible duo Fourniret-Olivier ne fasse la une des journaux, la France avait déjà connu l’horreur du crime en couple. C’était au milieu des années 80, une époque sans téléphone portable ni GPS, où l’on pouvait disparaître sur une route de campagne sans laisser de trace. Voici l’histoire de Marc Fasquel et Jocelyne Bourdin, les “amants sataniques” dont la cavale meurtrière a marqué au fer rouge l’inconscient collectif et brisé d’innocentes vies.

Une Rencontre sous le Signe du Mal
Tout commence par une rencontre banale dans un bar de Besançon. Jocelyne Bourdin, 29 ans, jeune femme issue d’un milieu modeste et marquée par la mort précoce de son père, croise la route de Marc Fasquel. Fasquel n’est pas un homme ordinaire. Fils de bonne famille, ancien élève brillant mais turbulent, il possède un charisme sombre et un passé déjà lourd de délinquance. Dès le premier regard, c’est le coup de foudre. Mais pas celui des contes de fées. C’est une fusion toxique, une alliance destructrice.
Fasquel ne cache rien de son passé judiciaire à Jocelyne. Au contraire, cela semble l’attirer. Elle plaque tout – famille, travail, stabilité – pour le suivre. Ensemble, ils commencent petit : vols de chéquiers, usage de faux papiers, escroqueries. Ils vivent en marge, unis contre le monde. Mais la petite délinquance ne suffit bientôt plus à rassasier les pulsions de Marc Fasquel, et Jocelyne, loin de le freiner, devient le catalyseur de ses fantasmes les plus noirs.
Le Piège se Referme : La Chasse aux Victimes
Le 27 décembre 1985 marque le basculement dans l’horreur absolue. Le mode opératoire est aussi cynique qu’efficace. Le couple repère des jeunes femmes cherchant du travail via des petites annonces ou l’ANPE (l’ancêtre de Pôle Emploi).
Martine, 20 ans, jeune ambulancière, tombe dans le panneau. Un certain “Monsieur François-Xavier”, au nom à particule rassurant, lui propose un emploi. Le piège est sophistiqué : le couple invite même le père de Martine au restaurant pour le mettre en confiance. Une fois les parents partis, le masque tombe. La gentillesse laisse place à la brutalité. Dans un gîte isolé, Martine vit l’enfer : braquée avec un fusil, ligotée au lit, violée et torturée toute la nuit.
Ce qui frappe dans ce dossier, c’est la dynamique perverse du couple. Pendant que Fasquel commet l’irréparable, Bourdin n’est pas passive. Elle assiste, commente, et pire, encourage. “Vas-y, c’est une salope, elle mérite”, lance-t-elle. Des mots qui resteront gravés dans la mémoire des victimes bien plus profondément que les blessures physiques.
Pourtant, cette première agression se termine de manière surréaliste. Après avoir volé sa carte bleue, le couple “s’adoucit”, offre le café, et dépose la victime à la gare avec un billet de train, non sans la menacer de représailles si elle parle. Une signature psychotique : détruire, puis feindre une normalité terrifiante.
L’Escalade de la Violence : De la Perversion au Meurtre
Les gendarmes, d’abord sceptiques face au récit de Martine, découvrent rapidement le gîte et les preuves matérielles. Un portrait-robot est diffusé. Mais Fasquel et Bourdin sont déjà loin. Ils sont devenus des prédateurs nomades, sillonnant la France au volant de leur puissante Renault 25, changeant de région tous les dix jours pour semer les forces de l’ordre.
Le 5 janvier 1986, Christine, 18 ans, subit le même sort en Loire-Atlantique. Dix jours plus tard, c’est Bernadette. La presse s’empare de l’affaire, surnommant le duo “les violeurs des gîtes”. La psychose s’installe. Mais la violence va monter d’un cran. Le sadisme ne suffit plus ; la mort s’invite dans leur périple.
Début février, le corps de Geneviève Godard, une mère de famille de 38 ans, “femme bien sous tous rapports”, est retrouvé en lisière d’un bois dans la Somme. Elle a été exécutée. Enlevée sur le parking d’un supermarché alors qu’elle faisait ses courses, elle n’avait aucun lien avec le couple. C’est un crime d’opportunité, un crime gratuit. L’autopsie et les analyses balistiques (du 22 Long Rifle) confirment la piste Fasquel. Ils ne se contentent plus de jouer avec leurs victimes, ils les éliminent.

La Course Contre la Mort
La France entière est en alerte. Le plan Épervier est déclenché. Hélicoptères, barrages routiers, diffusion massive des signalements : c’est une véritable chasse à l’homme. Les enquêteurs savent qu’ils jouent contre la montre. Chaque jour de liberté pour le couple est une condamnation potentielle pour une nouvelle innocente.
Le périple sanglant continue dans le sud-ouest. Christine, une autre jeune femme, est retrouvée morte, torturée et étranglée. Puis, dans une séquence digne d’un film d’action macabre, ils enlèvent Josette, une infirmière, en plein jour dans la rue, puis Geneviève, une étudiante, arrachée à une cabine téléphonique alors qu’elle parlait à son fiancé.
L’horreur atteint son paroxysme. Les deux femmes sont séquestrées ensemble dans la voiture. Josette, l’infirmière, fait preuve d’un courage héroïque, chuchotant à la jeune étudiante de ne pas résister pour survivre. Relâchée au milieu de nulle part, Josette donnera l’alerte, permettant de resserrer l’étau. Geneviève, elle, vivra 24 heures de cauchemar avant d’être miraculeusement libérée après un déjeuner au restaurant presque “mondain” avec ses bourreaux, qui lui demandent pardon en l’embrassant. Une instabilité émotionnelle qui déroute les psychiatres.
Le Dénouement de la Saint-Valentin
Le 14 février 1986, jour de la Saint-Valentin, la cavale prend fin. Repérés par un barrage de gendarmerie, Fasquel tente le tout pour le tout. Il fonce, percute une voiture de police, tente de repartir en marche arrière. Les sommations d’usage retentissent, suivies d’une rafale de pistolet-mitrailleur.
Marc Fasquel, touché, sort du véhicule, titube et s’effondre. Il meurt peu après. Jocelyne Bourdin, indemne, sort en hurlant : “C’est injuste ! Vous l’avez tué !“. Une réaction qui en dit long sur son allégeance indéfectible à son partenaire, même au pied du mur.
Le Procès : Le Masque Tombe
Trois ans plus tard, en mai 1989, s’ouvre le procès aux assises de Montauban. Marc Fasquel n’est plus là, Jocelyne Bourdin est seule dans le box. La stratégie de la défense est claire : elle se présente comme une victime, une femme sous emprise, forcée d’agir par peur de mourir.
Mais les témoignages des survivantes vont fracasser cette défense. À la barre, elles décrivent une femme active, cruelle, prenant du plaisir à l’humiliation des autres. “Elle prenait autant de plaisir que lui”, dira une victime. Les photos développées par les enquêteurs, montrant le couple posant fièrement après les viols dans des rituels macabres, finissent de convaincre les jurés.
Jocelyne Bourdin est condamnée à 20 ans de réclusion criminelle, assortis d’une peine de sûreté de 13 ans. Une peine lourde qui reconnaît sa pleine responsabilité.
Libérée en 1999 après avoir été une détenue modèle, Jocelyne Bourdin s’est fondue dans l’anonymat. Elle n’a plus jamais fait parler d’elle. Mais pour les familles de Geneviève Godard, de Christine, et pour toutes les survivantes marquées à vie dans leur chair et leur âme, la condamnation, elle, est perpétuelle. L’affaire Bourdin-Fasquel reste, quarante ans plus tard, le sombre rappel que la monstruosité peut avoir deux visages, et que l’amour, lorsqu’il est partagé par des âmes noires, peut devenir l’arme la plus dangereuse qui soit.