
“Même s’asseoir fait mal” : ce que les soldats allemands ont fait aux prisonniers français était pire que la mort.
Janvier 1944. La température en Alsace chute à moins 15 degrés Celsius. Au camp de prisonniers de Schirmeck, érigé sur les berges sombres de la rivière Bruche, le froid ne se contente pas de mordre la peau ; il charrie avec lui l’odeur de la mort. Schirmeck n’était pas Auschwitz ou Dachau ; il n’y avait pas de gigantesques chambres à gaz ni de crématoriums fonctionnant jour et nuit. Mais pour Claire Duret, 29 ans, et des centaines d’autres prisonnières de la Résistance française, cet endroit était un enfer sur terre, méticuleusement conçu pour briser la volonté humaine par la torture psychologique et physique la plus vicieuse.
L’Enfer sur Terre et le cruel “Acte”
Claire, une messagère de la Résistance, avait été capturée alors qu’elle transportait des documents secrets sur les routes d’évasion des pilotes alliés. À Schirmeck, elle et ses compagnes d’infortune – des infirmières aux institutrices, en passant par celles soupçonnées de cacher des Juifs – faisaient face à un châtiment que les gardes appelaient simplement “L’Acte”. Ce n’était pas une punition corporelle ordinaire. C’était la destruction systématique de la dignité.
Les soldats allemands forçaient les prisonnières à s’asseoir sur des objets pointus, rugueux, parfois des planches de bois hérissées de clous rouillés, des barres de métal chauffées à blanc, ou simplement à rester assises des heures durant sur le béton gelé. L’objectif était clair et terrifiant : transformer l’action de “s’asseoir” – un repos fondamental pour l’être humain – en une agonie insupportable, causant des douleurs osseuses profondes, des infections graves et des dommages permanents. Ils voulaient réduire ces femmes fières à l’état de créatures brisées, ne connaissant que l’obéissance par la douleur.
Un duel psychologique avec le Diable
Pourtant, Claire portait un secret plus lourd que sa propre vie. Elle connaissait l’identité du chef du réseau de résistance à Strasbourg : Étienne Duret, son propre frère cadet de 26 ans. Si elle parlait, Étienne et tout le réseau tomberaient.
Son bourreau se nommait Klaus Richter, un officier SS à l’apparence faussement courtoise, parlant un français impeccable et connaissant parfaitement la psychologie de ses victimes. Richter n’utilisait pas seulement la force brute. Il manipulait. Il montrait à Claire des photos de corps de prisonnières mortes d’épuisement et de torture, des femmes qui avaient été aussi “têtues” qu’elle. Il lui murmurait des promesses de liberté, de retrouvailles familiales, en échange d’un seul nom.

Le sommet de la cruauté fut atteint lorsque Richter fit entrer Louise dans la salle d’interrogatoire. Louise n’était qu’une jeune fille de 16 ans, arrêtée avec sa mère. Richter menaça de détruire l’enfant si Claire ne parlait pas. Claire se retrouva déchirée entre son humanité et son devoir, entre la protection d’une enfant innocente et la sauvegarde de dizaines de camarades opérant dans l’ombre. C’était un choix qu’aucun être humain ne devrait avoir à faire.
Les écrits de la vérité et le sacrifice ultime
Dans l’obscurité de son baraquement fétide, saturé d’odeurs de sueur et de maladie, Claire entreprit l’impensable : elle commença à écrire. Utilisant des morceaux de charbon et des bouts de sacs de ciment déchirés qu’elle cachait dans sa paillasse, elle consigna les noms, les dates et le sort de ces femmes malheureuses. “15 janvier 1944. Jeune femme, cheveux noirs… est morte. Je ne connais même pas son nom. Combien d’autres mourront sans que personne ne le sache ?”
Ces fragments de journal étaient son acte de résistance le plus puissant. Elle voulait s’assurer que si elle ne survivait pas, la vérité sur Schirmeck ne serait pas enterrée avec elle.
Puis vint le sacrifice, surgi de là où on ne l’attendait pas. Alors que Richter décidait d’exécuter Claire pour “l’exemple” devant tout le camp en raison de son obstination, Marguerite – une ancienne infirmière qui avait pris Claire sous son aile – s’avança. Elle prétendit connaître l’emplacement de la radio de la Résistance pour détourner l’attention de Richter, acceptant la mort pour que Claire puisse vivre. Marguerite fut torturée à mort trois jours plus tard, mais son geste alluma une flamme indestructible en Claire : elle devait vivre, elle devait s’échapper, pour que le sacrifice de Marguerite ne soit pas vain.
Une évasion spectaculaire et l’héritage de la mémoire
L’opportunité se présenta le 2 avril 1944, lorsqu’un bombardement allié frappa un dépôt de munitions près du camp, provoquant un chaos sans précédent. Profitant de la panique des gardes tentant d’éteindre les incendies, Claire, pressant les précieux bouts de papier contre sa peau, se rua vers une brèche dans les barbelés. Ignorant les coupures profondes qui déchiraient sa chair et les coups de feu qui claquaient derrière elle, elle courut comme jamais auparavant.
Pendant six jours interminables, cachée dans les forêts profondes des Vosges, buvant l’eau glacée des ruisseaux et luttant contre la faim, Claire réussit finalement à atteindre une ferme sûre. Là, elle put enfin retrouver Étienne, le frère qu’elle avait protégé au prix de sa santé et de son âme.
Les notes de Claire devinrent plus tard des preuves accablantes lors des procès pour crimes de guerre, mais plus important encore, elles furent redécouvertes par un journaliste en 1974, trente ans après la fin du conflit. Lorsque l’histoire fut publiée, elle provoqua une onde de choc en France. Ces femmes oubliées, qui avaient enduré “la douleur de s’asseoir” dans le silence et la honte, furent enfin reconnues par le monde comme des héroïnes.
Claire Duret s’est éteinte en 1989, mais son héritage perdure. Au musée de la Résistance, ses papiers jaunis reposent sous une lumière tamisée, racontant l’histoire de femmes ordinaires devenues extraordinaires. Elles ont prouvé que même dans les circonstances les plus atroces, lorsque le corps est brisé, la dignité et le courage humain restent des flammes impossibles à éteindre. L’histoire de Claire nous rappelle une leçon essentielle : se souvenir est un acte de résistance, et la vérité, peu importe la profondeur à laquelle on tente de l’enfouir, finit toujours par trouver la lumière..0