C’est une image qui, à première vue, inspire une tendresse mêlée de mélancolie. Nous sommes en mai 1945, quelques semaines après la libération du camp de concentration de Bergen-Belsen. Une petite fille, les cheveux coupés court, vêtue d’une robe trop grande pour sa frêle silhouette, est assise sur un lit de camp en métal. Dans ses bras, elle serre une poupée de porcelaine presque aussi grande qu’elle. Elle tente un sourire timide face à l’objectif.
Pendant près de huit décennies, cette photographie dormait dans les archives, étiquetée simplement : “Enfant survivante non identifiée, mai 1945”. Elle n’était qu’un visage parmi des milliers d’autres, un témoignage muet des horreurs de la guerre et de l’innocence volée. Mais en août 2024, tout a changé.
Le Dr Sarah Lieberman, chercheuse chevronnée au Musée mémorial de l’Holocauste des États-Unis, numérisait une nouvelle collection de photos lorsqu’elle s’est arrêtée sur ce cliché. Quelque chose l’intriguait. En zoomant à 400 % sur la main gauche de l’enfant, son souffle s’est coupé. Là, sur ce minuscule avant-bras, une série de chiffres indélébiles apparaissait : A-7358.

Ce n’était pas une simple marque. C’était un tatouage d’Auschwitz.
L’Anomalie Impossible
Pour un historien, voir un tel tatouage sur un enfant si jeune est une anomalie terrifiante. La grande majorité des enfants arrivant à Auschwitz étaient envoyés directement vers la mort. Ils n’étaient pas enregistrés, pas tatoués. Qu’une fillette de six ans porte ce matricule signifiait qu’elle avait traversé l’enfer, survécu à la sélection initiale, enduré les conditions inhumaines du camp, et survécu assez longtemps pour être transférée à Bergen-Belsen avant la libération. C’était un miracle statistique, une exception bouleversante.
Le Dr Lieberman savait qu’elle tenait là le début d’une histoire extraordinaire. Mais qui était A-7358 ? Les registres nazis, souvent détruits ou incomplets, ne donnaient qu’une date d’enregistrement : le 28 mai 1944. Pas de nom. Juste un numéro et une date. Le vide.
S’ensuivit alors une véritable enquête policière à travers le temps et l’histoire. Sarah a contacté des archives en Allemagne, en Israël et en France. Elle a épluché des listes de transports, des registres d’orphelinats d’après-guerre et des documents de la Croix-Rouge. Chaque impasse était frustrante, mais l’image de cette petite fille tenant sa poupée la poussait à continuer. Elle devait avoir un nom.
La Percée Décisive
Après des semaines de recherches acharnées, la lumière est venue d’un document poussiéreux des archives de Bergen-Belsen. Une liste manuscrite mentionnait une enfant : “Numéro 47, sexe féminin, environ 6 ans, tatouage Auschwitz 7358. Nom inconnu. Ne parle pas. Confiée à l’UNRRA en juin 1945.”
La piste menait ensuite à Paris. Un foyer pour enfants juifs orphelins avait accueilli des centaines de survivants après la guerre. Et là, dans un registre d’admission daté du 22 juin 1945, le miracle s’est produit. Le numéro A-7358 avait enfin un visage humain : Hannah Goldberg.

Hannah venait de Munkács, en Hongrie. Elle avait perdu ses parents et son frère dès leur arrivée à Auschwitz. Seule au monde, traumatisée, tuberculeuse, elle ne parlait plus. Les notes des soignants de l’époque décrivaient une enfant terrifiée qui refusait de lâcher une chose : sa poupée. Cette même poupée visible sur la photo.
Retrouver Hannah
Identifier l’enfant n’était que la première étape. Sarah Lieberman voulait savoir si Hannah avait survécu à l’après-guerre. Avait-elle pu se construire une vie après un tel départ ? Les recherches généalogiques ont révélé qu’Hannah avait été adoptée par Eva, l’infirmière qui l’avait soignée à Paris. Ensemble, elles avaient émigré à New York en 1949. Hannah s’était mariée, était devenue Hannah Rosenberg, avait eu des enfants, puis des petits-enfants.
En 2024, les registres indiquaient qu’Hannah vivait dans une résidence pour retraités en Floride. Elle avait 84 ans.
Le cœur battant, Sarah a organisé une rencontre, non sans appréhension. Réveiller les souvenirs de l’Holocauste est un acte délicat. Mais Hannah a accepté.
La Rencontre : “C’est moi”
Le 15 octobre 2024, dans une salle commune ensoleillée de Floride, le passé et le présent se sont télescopés. Sarah a tendu une tablette à la vieille dame aux yeux vifs. Sur l’écran, la photo en haute résolution.
Hannah a fixé l’image. Le silence dans la pièce était lourd d’émotion. Sa fille lui tenait la main. “C’est moi”, a chuchoté Hannah, les larmes coulant sur ses joues ridées. “Je n’avais pas vu de photo de moi de cette époque depuis 79 ans. Je ne me souviens pas du visage de mes parents, mais je me souviens de ce moment.”
Puis, elle a posé une question qui a bouleversé Sarah : “Voulez-vous la voir ?”
Hannah s’est levée, s’appuyant sur sa canne, et s’est dirigée vers un placard. Elle en a sorti une boîte soigneusement emballée. À l’intérieur, protégée par du papier de soie, reposait la poupée. La peinture était écaillée, la robe jaunie par le temps, mais elle était là. Intacte.
“Je l’ai appelée Espoir”, a confié Hannah. “C’était le premier cadeau que j’ai reçu après l’enfer. Elle m’a rappelé que la bonté existait encore dans ce monde.”
Plus qu’un Numéro
L’histoire d’Hannah Goldberg Rosenberg est bien plus qu’une anecdote historique. C’est une victoire éclatante de la vie sur la mort. Les nazis avaient tenté de la réduire à une série de chiffres, de l’effacer de la surface de la terre. Ils ont tatoué son bras pour la déshumaniser.
Mais aujourd’hui, Hannah n’est pas un numéro. Elle est une mère, une grand-mère et une arrière-grand-mère. Sa famille compte plus de 30 membres, tous descendants de cette petite fille brisée sur un lit de camp.
Lors d’une scène poignante racontée par Sarah, l’arrière-petite-fille d’Hannah, âgée de six ans – le même âge qu’Hannah sur la photo – a touché le tatouage fané sur le bras de son aïeule. “Est-ce que ça fait mal ?” a demandé l’enfant. “Plus maintenant”, a répondu Hannah avec douceur. “Maintenant, c’est juste un rappel que j’ai survécu.”
Hannah a décidé de faire don de sa précieuse poupée “Espoir” au musée. Elle trônera désormais à côté de la photographie de 1945, preuve tangible que même dans les ténèbres les plus profondes, une petite lueur d’humanité peut sauver une âme.
Cette découverte nous rappelle l’importance cruciale de regarder au-delà de la surface. Derrière chaque photo d’archive, derrière chaque visage anonyme de l’histoire, se cache une vie, un nom, et parfois, un miracle qui ne demande qu’à être raconté. Grâce à la ténacité d’une chercheuse et à la résilience d’une survivante, A-7358 a retrouvé son nom, et le monde a retrouvé une héroïne.