Chapitre II : Le miracle de la cellule numéro 6 – « Neuf minutes » pires que la mort – résidait dans le temps qu’un soldat allemand passait avec chaque prisonnier français.

⏳ Chapitre II : Quand l’horloge ne compte pas le temps, mais l’Âme

Il m’a fallu 64 ans pour dire la vérité. Mais il y a une chose que même aujourd’hui, tandis que je murmure ces lignes à Claire, fait encore trembler ma main. C’est la vérité sur la manière dont nous savions quand ces 9 minutes étaient achevées.

Il n’y avait pas d’horloge là-bas. Nos bourreaux ne portaient pas de chronomètre. La garde frappait à la porte exactement à la 540e seconde, non pas parce qu’ils surveillaient une aiguille. Ils frappaient parce que nous savions.

💀 L’Arithmétique de la Dissolution

Le corps apprend à compter, ai-je dit. C’était un mensonge réconfortant. La vérité est pire. Dans la Chambre 6, ce n’était pas le temps qui s’écoulait, mais quelque chose d’autre qui était collecté.

J’ai commencé à le remarquer lors de ma quatrième convocation. Le soldat allemand ce jour-là était un jeune homme, les yeux bleus vides. Il ne m’a pas touchée. Il est resté là, me fixant comme un objet en décomposition, et a marmonné en allemand, un mot que Simone m’a dit plus tard signifier « Manque » (Mangel).

Dans ce silence de mort, tout était déformé. Le mur de pierre grise n’était plus seulement de la pierre. Il se mettait à respirer. Je ne parle pas métaphoriquement. Je sentais une pression glaciale, comme du mercure versé depuis tous les coins de la pièce. Ce froid traversait ma peau, mes os, et semblait aspirer quelque chose du centre de mon être.

À la 530e seconde, je me suis rendu compte que je ne sentais plus mon bras. Pas paralysé. Juste… étranger, comme s’il appartenait à quelqu’un d’autre.

Et puis, cela arrivait.

🌑 Le Coup Immatériel

Au moment précis où je perdais la sensation de mon bras, je n’entendais pas seulement le coup à la porte. Je le sentais dans ma gorge, dans ma poitrine, comme si une corde invisible venait d’être tranchée à l’intérieur de moi.

Le garde frappait seulement lorsque le sujet à l’intérieur avait atteint un certain seuil de vacuité.

Les Neuf minutes n’étaient pas une règle temporelle ; c’était une limite d’absorption. Nous n’étions pas des victimes autorisées à survivre ; nous étions des sources d’énergie exploitées. Et c’était l’horreur, l’engourdissement, la dissolution du moi – c’était la véritable monnaie de la Chambre 6.

« Pire que la chambre 47 » — Ce que les soldats allemands faisaient aux prisonnières révoltées

Simone, notre philosophe, avait dit un jour : « Ils veulent nous prendre notre merveille ». Mais maintenant, je savais qu’ils prenaient quelque chose de plus concret, quelque chose qui avait un poids, qui pouvait être mesuré par le silence de la pièce.

🕯️ Les Âmes Égarées

J’ai commencé à observer cela chez les autres. Lorsque Louise revenait de sa pire journée — celle où elle fut appelée deux fois de suite — ses yeux ne reflétaient plus la lumière. Elle était vide. Toutes les histoires qu’elle racontait sur la plage de Bretagne étaient tronquées, dépourvues de vie. Quand elle essayait de chanter les berceuses, sa voix n’avait pas de timbre, seulement un vent froid.

Elle n’était pas seulement blessée. Elle était vidée.

Nous avons commencé à murmurer sur “L’Ombre” — une entité invisible, pas allemande, pas garde, mais le véritable maître de la Chambre 6. L’Ombre n’avait pas besoin de corps. Elle avait besoin de l’Abandon.

Et le plus terrifiant, c’est ceci : la seule fois où les 9 minutes furent rompues fut avec le soldat qui ne fit rien (celui qui s’était excusé). Le coup n’est pas venu. Nous sommes restés là 14 minutes dans un silence horrible. La raison ?

Parce qu’il avait refusé de participer. Parce que je n’avais pas été vidée. La porte ne s’ouvrait que lorsque la transaction était complète.

Depuis ce jour, j’ai vécu avec une nouvelle peur, plus froide que la mort : nous n’étions pas des prisonnières politiques. Nous étions la matière première d’un rite spirituel que même ceux qui l’exécutaient ne comprenaient pas. Le mal n’était pas les soldats ; c’était un mécanisme en marche.

Et voici ce que je n’ai jamais dit, même à Claire : La dernière nuit avant notre transfert, je me suis glissée dans le couloir. La porte de la Chambre 6 était légèrement entrouverte. J’ai regardé à l’intérieur. La pièce était vide, mais elle n’était pas vide. Au centre, il y avait une lumière faible et tremblante en suspension, d’un gris sans couleur, scintillant doucement comme de la poussière d’or.

Et j’ai réalisé : C’était la somme de toutes ces 9 minutes. C’était ce qu’ils nous avaient pris. Des âmes brutes, pures, condensées, attendant d’être envoyées — peut-être vers le Front de l’Est que le soldat avait mentionné en tremblant.

J’ai survécu, mais je suis revenue avec une fraction de moins de moi-même. Cette partie volée est toujours là-bas, piégée pour toujours dans cette chambre froide, un joyau creux appartenant à une machine non humaine. Et parfois, dans le silence de la nuit, je ressens encore ce froid de mercure.

Elle continue de compter.

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