Dans l’arène impitoyable du Santiago Bernabéu, les soirées se suivent mais ne se ressemblent jamais vraiment. Pourtant, celle d’hier soir face à l’Athletic Bilbao restera gravée comme l’un de ces moments charnières, où la lumière éblouissante d’une superstar cache des ombres inquiétantes. Kylian Mbappé, le prodige de Bondy, a livré ce que beaucoup qualifieraient de “masterclass”. Mais ne nous y trompons pas : derrière les clameurs et les statistiques affolantes, une question existentielle et potentiellement destructrice se pose pour l’avenir du Real Madrid sous l’ère Xabi Alonso. Mbappé est-il la solution miracle ou le problème insoluble ?

La Métamorphose d’un Soir : Quand le Génie se Réveille
Il serait malhonnête, voire aveugle, de nier l’évidence : contre Bilbao, Kylian Mbappé a été phénoménal. Pour la première fois depuis des lunes, nous avons retrouvé le joueur total, celui qui ne se contente pas d’attendre le ballon pour briller, mais qui se sacrifie pour le collectif. Les critiques, souvent acerbes ces derniers mois, doivent s’incliner face à cette prestation aboutie.
Ce n’était pas seulement une affaire de buts ou de passes décisives, bien que sa passe pour Camavinga fût un bijou de vision et de technique. Non, ce qui a frappé les observateurs avertis, c’est l’attitude. Le pressing, ce fameux pressing si souvent décrié par ses détracteurs, était là. Intense, coordonné, intelligent. On a vu un Mbappé harceler les défenseurs, dézoner pour créer des espaces, et surtout, se connecter avec Vinicius Junior d’une manière quasi télépathique.
C’est là toute la magie du football : quand les ego s’effacent au profit du jeu, le résultat est étincelant. Voir Mbappé initier le pressing et Vinicius suivre le mouvement immédiatement est un signal fort. Le Real a récupéré des ballons haut, a étouffé son adversaire et a semblé, pour un instant, invulnérable. Mais cette invulnérabilité est-elle réelle ou n’est-elle qu’un mirage dû à la faiblesse de l’opposition ?
Le Piège de l’Omnipotence : L’Ombre du PSG Plane Encore
C’est ici que l’analyse doit dépasser le simple tableau d’affichage. L’Athletic Bilbao, bien que vaillant, a offert le scénario idéal pour le Real Madrid : des espaces béants, une défense naïve et des individualités, comme Nico Williams ou Vivian, en perdition totale. Mbappé a brillé parce qu’on l’a laissé briller. Mais demain ? Que se passera-t-il face à un bloc bas hermétique, face à une machine tactique comme Arsenal ou Manchester City ?
Le danger qui guette le Real Madrid est insidieux : c’est la “Mbappé-dépendance”. En devenant omnipotent, en étant à la fois le créateur, le finisseur et le déclencheur, Mbappé vampirise involontairement le jeu de son équipe. C’est un phénomène que l’on a trop bien connu au Paris Saint-Germain. Lorsque tout repose sur les épaules d’un seul homme, aussi génial soit-il, le collectif s’étiole. Les autres joueurs, inconsciemment, se déresponsabilisent. “Donnez la balle à Kylian et regardez-le faire.” C’est le début de la fin pour toute ambition collective en Ligue des Champions.
Xabi Alonso, dans sa quête de résultats immédiats pour sauver sa tête, risque de tomber dans ce piège de facilité. Utiliser Mbappé comme une “carte sortie de prison” est tentant. Il marque, il gagne des matchs, il achète du temps à son entraîneur. Mais construire un projet de jeu durable sur l’exploit individuel est une stratégie vouée à l’échec. L’histoire du football l’a prouvé maintes fois : aucune équipe, pas même celle de Messi ou de Ronaldo à leur apogée, ne peut survivre sur la durée sans une structure collective bétonnée. Si le Real Madrid commence à croire que Mbappé suffira à masquer ses carences tactiques, le réveil sera brutal dès que le niveau de l’adversité montera d’un cran.
La Tuile Tactique : Le Drame Trent Alexander-Arnold
Comme si ce dilemme philosophique ne suffisait pas, la soirée a été assombrie par une nouvelle catastrophique. Trent Alexander-Arnold, arrivé pour révolutionner le jeu madrilène par sa qualité de passe, a quitté le terrain blessé. Le verdict est tombé comme un couperet : lésion à l’adducteur gauche, deux mois d’absence.
C’est un coup dur immense, bien plus grave qu’il n’y paraît. Alexander-Arnold n’est pas qu’un simple latéral ; c’est un créateur reculé, un “sniper” capable de casser des lignes de pressing par une transversale millimétrée. On l’a vu sur le premier but : sa capacité à trouver Mbappé dans la profondeur est une arme de destruction massive. Sans lui, le Real perd sa rampe de lancement préférentielle.

La conséquence immédiate est un casse-tête pour Alonso. Le retour probable de Federico Valverde au poste de latéral droit est une solution de secours qui affaiblit deux secteurs à la fois. On perd l’impact physique et la projection de l’Uruguayen au milieu de terrain – là où l’équilibre avec Tchouaméni, Camavinga et Bellingham commençait à peine à se stabiliser – pour le brider dans un rôle défensif qu’il n’apprécie guère. C’est tout l’édifice tactique qui tremble. Devoir bricoler en pleine saison, alors que les échéances cruciales approchent, est le pire cauchemar pour un entraîneur.
Conclusion : Un Avenir en Pointillé
Alors, faut-il célébrer ou s’inquiéter ? La réponse est nuancée, mais l’urgence est là. La performance de Kylian Mbappé est une bouffée d’oxygène, une preuve de son talent incommensurable. Mais elle agit aussi comme un anesthésiant, masquant les douleurs profondes d’un collectif encore en chantier.
Le Real Madrid est à la croisée des chemins. D’un côté, la tentation de se laisser porter par son Galactique, au risque de devenir une équipe prévisible et déséquilibrée. De l’autre, la nécessité absolue de bâtir un système où Mbappé est la cerise sur le gâteau, et non le gâteau tout entier. Avec la blessure d’Alexander-Arnold, la tâche de Xabi Alonso devient herculéenne. Il doit réinventer son animation tout en gérant l’influence grandissante de sa star française.
L’année 2025 s’annonce stratosphérique pour Mbappé, c’est certain. Mais pour que le Real Madrid soulève des trophées, il faudra plus que des exploits solitaires. Il faudra une âme, une structure, et surtout, le refus de la facilité. Sinon, le “sauveur” d’aujourd’hui sera désigné comme le coupable de demain, dans ce cycle éternel de gloire et de chute qui définit la légende du football.