
L’ombre plane sur Thann : Le début du cauchemar
Dans la nuit du 14 janvier 1943, dans le petit village de Thann en Alsace, la neige tombait lourdement, comme pour ensevelir toute vie. Le silence de la nuit fut déchiré par le bruit des bottes cloutées des soldats allemands et les pleurs étouffés des femmes traînées hors de leur foyer. Parmi elles se trouvait Marguerite Roussell, une jeune femme de 23 ans, enceinte de son premier enfant. Elle n’était pas résistante, elle ne portait pas d’armes, elle n’était qu’une épouse attendant le retour de son mari parti au front. Mais sous le régime nazi, une dénonciation anonyme suffisait pour transformer une innocente en criminelle.
Lorsque la porte de Marguerite fut enfoncée, elle était assise en train de coudre une petite couverture pour le bébé à naître. La faible lueur de la bougie éclairait son visage creusé par les privations. L’officier allemand regarda froidement son ventre, puis la liste de condamnation qu’il tenait en main – son nom y était marqué en rouge. « Vous êtes en état d’arrestation pour suspicion de collaboration avec des éléments subversifs », déclara-t-il d’une voix sans émotion. Sans explication, sans possibilité de se justifier, Marguerite fut traînée dehors dans le froid mordant, laissant derrière elle sa maison chaleureuse et l’espoir d’un avenir paisible.
L’enfer sur terre : Le camp sans nom
Marguerite et d’autres femmes – Simone, Hélène, Louise, toutes enceintes – furent jetées dans un camion bâché. Après deux heures de route cahoteuse, elles arrivèrent dans un lieu qui ne figurait sur aucune carte. Ce n’était pas un immense camp de concentration comme on en voit dans les archives habituelles, mais une installation secrète, plus petite, abritant pourtant les crimes les plus horribles.

Là, elles firent face au docteur Klaus Hoffman, un homme à l’apparence intellectuelle avec ses lunettes rondes et sa voix douce, mais qui cachait au fond de lui une âme démoniaque. Il ne les battait pas avec des fouets, il les torturait avec la « science ». « Vous portez en vous la semence de l’ennemi », déclarait Hoffman, les considérant comme de simples cobayes pour les ambitions maladives du Reich.
Les jours suivants furent un enfer. Les femmes enceintes recevaient des injections de liquides étranges sous prétexte de « vitamines », mais qui étaient en réalité des produits chimiques provoquant des réactions biologiques douloureuses : vertiges, saignements et même fausses couches. Marguerite vit ses amies tomber les unes après les autres. Camille, une jeune fille, mourut dans une douleur atroce suite à une hémorragie massive sans aucune intervention médicale, tandis que les soldats allemands regardaient froidement avant de traîner son corps comme un déchet.
La résistance silencieuse : La plume et l’objectif
Au milieu du désespoir, les graines de la résistance germaient encore. Simone, une infirmière tenace, notait tout en secret. Sur des bouts de papier, elle inscrivait les noms, les dates et les crimes commis par Hoffman. « Si l’une de nous survit, le monde doit savoir », tel était leur serment.
Le tournant survint lorsqu’Éliane Mercier, une infirmière de la Croix-Rouge faite prisonnière, apporta une arme secrète : un minuscule appareil photo caché dans l’ourlet de sa robe. Au péril de sa vie, Éliane prit clandestinement des photos qui allaient bouleverser les consciences : des femmes émaciées alignées dans la neige, Hoffman remettant des nouveau-nés à des officiers SS comme de vulgaires marchandises. Ces preuves deviendraient plus tard l’accusation la plus accablante contre le régime nazi.
La tragédie de la maternité : L’enfant volé
En mars 1943, au milieu d’une violente tempête de neige, Marguerite entra en travail prématurément. Dans le froid d’une baraque délabrée, sans analgésiques, sans médecin, elle lutta contre la mort pendant 8 heures pour mettre son enfant au monde. Le cri du nouveau-né, un garçon qu’elle nomma Pierre, fut le son le plus beau mais aussi le plus douloureux à résonner dans le camp.

Mais ce bonheur fut éphémère. Hoffman apparut, froid et cruel. Il annonça que l’enfant serait « bien pris en charge » par une famille allemande. Malgré les hurlements de Marguerite, ses supplications, et sa tentative désespérée de garder son fils, les soldats lui arrachèrent le bébé des bras. « Il aura une vie meilleure que celle que vous pouvez offrir », dit Hoffman avant de franchir la porte, emportant avec lui le cœur et l’âme de Marguerite.
Cette perte tua Marguerite. Elle refusa de s’alimenter, abandonna la vie et mourut deux semaines plus tard d’infection et d’épuisement. Elle fut jetée dans une fosse commune, sans pierre tombale, sans nom.
La vérité révélée et une justice tardive
En 1945, lorsque les Alliés libérèrent la région, ils ne trouvèrent que des cendres. Hoffman avait ordonné de brûler le camp pour effacer les preuves. Mais il ne pouvait pas brûler la vérité. Le lieutenant James Crawford découvrit la boîte en fer rouillée contenant les notes de Simone et les photos d’Éliane. Ces documents révélaient un programme brutal visant à « germaniser » les enfants au physique « aryen » et à éliminer ceux qui ne correspondaient pas aux critères.
Bien que Hoffman se soit enfui en Amérique du Sud et ait vécu libre jusqu’à la fin de ses jours, ses crimes ont été jugés par l’histoire. Henry, le mari de Marguerite, passa le reste de sa vie à chercher son fils, en vain. Il mourut rongé par le chagrin, laissant une lettre pour ce fils qu’il n’avait jamais rencontré.
Épilogue : Une rencontre à travers le temps
L’histoire semblait devoir finir en tragédie, mais le destin en décida autrement. En 2003, lors de la cérémonie annuelle à Thann, un homme allemand nommé Peter Hoffman apparut. Il avait découvert ses vrais papiers d’origine après la mort de sa mère adoptive. Sa date de naissance correspondait exactement à celle du fils de Marguerite : le 14 mars 1943.
Debout devant la stèle commémorative gravée du nom de Marguerite Roussell, cet homme de 60 ans éclata en sanglots. Il toucha ce nom étranger mais familier, murmurant « Maman ». Même sans test ADN pour le confirmer avec certitude, son cœur savait qu’il était rentré chez lui. Pierre – ou Peter – avait survécu, comme Marguerite l’avait souhaité dans son dernier souffle. Son sacrifice n’avait pas été vain.
L’histoire de Marguerite et des femmes de Thann est la preuve que, peu importe la cruauté du mal, l’amour et la vérité trouveront toujours un chemin à travers la poussière du temps. Nous racontons cette histoire pour résister à l’oubli, pour que ces noms restent à jamais gravés dans la conscience humaine.