L’Ombre du Troisième Reich : Comment Vivre Après Avoir Été l’Enfant d’un Monstre ?
Lorsque le régime nazi s’est effondré en 1945, laissant l’Europe en ruines et des millions de morts, une question troublante est restée en suspens, souvent oubliée des livres d’histoire : qu’est-il arrivé aux enfants de ceux qui ont orchestré cette horreur ? Ils portaient les noms de Himmler, Goering, Frank ou Mengele. Ils étaient les princes et princesses d’un royaume de terreur. Mais une fois les croix gammées tombées, comment ont-ils survécu au poids écrasant des crimes de leurs pères ? Entre dévotion fanatique, repentance religieuse et haine viscérale, voici les destins croisés et stupéfiants des enfants du Reich.

Gudrun Himmler : La Fidélité Jusqu’à la Tombe
Gudrun Himmler, née en 1929, était la prunelle des yeux de son père, Heinrich Himmler, l’architecte de la Solution Finale. Surnommée “Pupi”, elle a grandi dans une bulle de privilèges, visitant son père à Berlin et recevant des lettres affectueuses, totalement isolée de la réalité des camps de la mort que son père administrait.
Ce qui est glaçant chez Gudrun, c’est son refus obstiné, jusqu’à sa mort en 2018, d’accepter la vérité. Pour elle, son père n’était pas un monstre, mais un héros assassiné par les Alliés (elle a toujours contesté la thèse de son suicide). Plus inquiétant encore, elle ne s’est pas contentée de défendre sa mémoire en privé. Elle est devenue une figure clé de la “Stille Hilfe” (l’Aide Silencieuse), une organisation secrète aidant les anciens membres de la SS arrêtés ou en fuite. Sa vie entière fut un monument de loyauté toxique, prouvant que l’amour filial peut parfois aveugler jusqu’à l’indécence morale.
Martin Bormann Jr. : De l’Ombre d’Hitler à la Lumière de Dieu
Le contraste avec Martin Bormann Jr. ne pourrait être plus saisissant. Fils aîné du secrétaire personnel d’Hitler, il a grandi au cœur du pouvoir, son père étant l’un des hommes les plus puissants et les plus impitoyables du régime. Protégé de la réalité pendant son enfance, la chute du nazisme fut pour lui un réveil brutal.

Confronté aux atrocités commises au nom de l’idéologie de son père, Martin Jr. a choisi la voie de la pénitence radicale. Il s’est converti au catholicisme et est devenu prêtre, travaillant comme missionnaire au Congo et au Cameroun. Sa vie semblait être une longue tentative de rachat, une quête pour nettoyer un nom souillé par le sang. Cependant, cette quête de rédemption a été ternie vers la fin de sa vie. En 2011, alors qu’il souffrait de démence, d’anciens élèves l’ont accusé d’abus physiques et sexuels remontant aux années 1960. Une fin tragique et sombre pour celui qui tentait désespérément d’échapper aux démons familiaux.
Niklas Frank : Haïr le Père pour Sauver l’Homme
Si Gudrun a choisi l’amour aveugle, Niklas Frank a choisi la haine lucide. Fils de Hans Frank, le “Boucher de Pologne”, Niklas était trop jeune pendant la guerre pour comprendre, mais a passé sa vie adulte à disséquer et dénoncer les crimes de son père.
Hans Frank, gouverneur général de la Pologne occupée, était responsable de la mort de millions de personnes. Niklas a confronté cet héritage de front, écrivant des livres comme “Dans l’ombre du Reich” où il condamne sans appel son géniteur. Son engagement est total : il parcourt les écoles, donne des conférences, rappelant au monde que la haine et le fanatisme mènent à l’abîme. Pour Niklas, la seule façon de vivre avec son nom était de s’assurer que personne n’oublie jamais les horreurs qu’il représentait. C’est une forme de catharsis publique, brutale mais nécessaire.
Edda Goering : La Princesse Déchue et ses Trésors
Edda Goering, fille du chef de la Luftwaffe Hermann Goering, a vécu une enfance digne d’un conte de fées macabre. Entourée de luxe dans le domaine de Carinhall, elle était utilisée par la propagande nazie comme symbole de la famille aryenne parfaite. Elle a reçu des cadeaux inestimables, souvent des œuvres d’art volées dans toute l’Europe.
Après le suicide de son père à Nuremberg, Edda s’est retrouvée face à une réalité moins glamour. Pourtant, contrairement à Niklas Frank, elle n’a pas rejeté son père. Elle a mené une existence discrète mais a passé des décennies dans des batailles juridiques pour tenter de récupérer les biens confisqués, y compris une peinture de la Vierge à l’Enfant. Jusqu’à sa mort, elle a maintenu en privé que son père était un “homme bon”, vivant dans un déni confortable, refusant de voir que son héritage doré était bâti sur le pillage et le meurtre.
Rolf Mengele et Wolf Hess : Le Silence et la Défense
Le cas de Rolf Mengele est digne d’un thriller psychologique. Fils de Josef Mengele, le médecin sadique d’Auschwitz, Rolf a grandi en croyant son père mort en héros, avant d’apprendre la terrifiante vérité. En 1977, il a fait le voyage jusqu’au Brésil pour rencontrer ce père fugitif. Il y a trouvé un homme sans aucun remords, rationalisant ses expériences inhumaines. Bien que Rolf ait méprisé ce que son père représentait, il n’a jamais pu se résoudre à le dénoncer à la police, permettant à l'”Ange de la Mort” de mourir libre. Il a ensuite changé de nom, choisissant l’anonymat pour protéger sa propre famille.

À l’inverse, Wolf Hess, fils de Rudolf Hess (l’adjoint du Führer), a passé sa vie à faire campagne pour la réhabilitation de son père. Convaincu que Rudolf Hess était un messager de paix incompris et non un criminel de guerre, Wolf a fondé des comités, écrit des livres et soutenu la thèse selon laquelle son père aurait été assassiné dans la prison de Spandau par les Britanniques. Il est mort sans jamais avoir accepté la culpabilité de son père, enfermé dans sa propre prison mentale de loyauté.
Albert Speer Jr. : L’Architecte qui Voulait Oublier
Enfin, Albert Speer Jr. a tenté l’impossible : réussir dans le même domaine que son père tout en s’en distançant. Son père, l’architecte préféré d’Hitler et ministre de l’Armement, a réussi à échapper à la peine de mort à Nuremberg en montrant des remords (sincères ou calculés, le débat persiste).
Albert Jr. est devenu un architecte de renommée mondiale, luttant contre un bégaiement sévère développé après l’arrestation de son père. Il a passé sa vie à essayer de se séparer de l’ombre paternelle, affirmant que son choix de carrière n’avait rien à voir avec lui. “J’ai essayé toute ma vie de me distancier”, disait-il. Il a réussi à bâtir sa propre réputation, mais l’ironie du sort a voulu qu’il excelle dans l’art qui avait porté son père aux sommets du régime nazi.
Conclusion
Ces histoires nous rappellent que l’histoire ne s’arrête pas aux traités de paix ou aux procès. Elle continue de couler dans les veines des générations suivantes. Ces “enfants du Reich” n’ont pas choisi leurs parents, mais ils ont dû choisir comment vivre avec leur héritage. Certains ont choisi le déni, d’autres la défense, et quelques-uns le courage de la vérité. Leurs vies sont des témoignages vivants des ondes de choc transgénérationnelles causées par la haine et la guerre, nous prouvant que personne ne sort indemne de l’histoire, pas même les innocents.