C’était l’été 1944, une période où l’espoir du Débarquement de Normandie se mêlait à la terreur absolue imposée par l’occupant en retraite. Dans le sud-ouest de la France, une ombre menaçante s’étendait : la 2e division blindée SS “Das Reich”. Connue pour sa brutalité impitoyable sur le front de l’Est, cette unité allait graver son nom dans l’histoire de France par le sang et les larmes. Ce qui s’est passé à Tulle le 9 juin 1944, et les événements cataclysmiques qui ont suivi, reste l’une des cicatrices les plus profondes de la Seconde Guerre mondiale.

Le Crépuscule sur Tulle
Le 6 juin 1944, alors que les Alliés prenaient d’assaut les plages de Normandie, la Résistance française intensifiait ses actions pour perturber les lignes allemandes. À Tulle, en Corrèze, les maquisards avaient réussi un coup d’éclat en prenant le contrôle de la ville après de féroces combats contre la garnison allemande. L’euphorie de la libération fut cependant de courte durée.
Le soir du 8 juin, les chars de la division Das Reich entraient dans la ville, surprenant les résistants qui durent se replier dans les collines environnantes. Ce qui suivit fut une punition collective d’une cruauté médiévale. Au petit matin du 9 juin, sous prétexte de contrôles d’identité, les SS raflèrent plus de 3 000 hommes, âgés de 16 à 60 ans.
La Mise en Scène Macabre
Le processus de sélection fut arbitraire et terrifiant. Sous la direction de Walter Schmald, un agent de la Gestapo, les hommes furent triés comme du bétail. Finalement, 99 d’entre eux furent désignés pour mourir. Ce qui rend le massacre de Tulle particulièrement insoutenable, c’est la mise en scène publique de l’exécution.
Les victimes ne furent pas fusillées, mais pendues aux balcons, aux arbres et aux lampadaires de la ville. Les cordes avaient été préparées à l’avance, transformant les rues familières en une galerie des horreurs. Les témoignages de l’époque rapportent une indifférence glaçante de la part des bourreaux : tandis que les corps se balançaient dans le vide, les officiers SS s’installaient à la terrasse du café Tivoli, buvant du vin volé et écoutant de la musique forte, riant face à l’agonie de leurs victimes.
Le Prix de la Déportation
L’horreur ne s’arrêta pas aux 99 pendus. Le lendemain, une nouvelle sélection envoya 149 hommes vers le camp de concentration de Dachau. Pour beaucoup, c’était un aller sans retour ; 101 d’entre eux ne revirent jamais la France, morts d’épuisement et de mauvais traitements. La manufacture d’armes de Tulle fut transformée en centre de torture, où la Milice française, collaborant avec les nazis, se livra à des actes de barbarie innommables, allant jusqu’à verser de l’acide sur les plaies des prisonniers.
La Vengeance de la Résistance : Le Cas Helmut Kämpfe
Face à cette sauvagerie, la Résistance ne resta pas inerte. Le destin tragique de la région allait basculer une seconde fois avec la capture d’un homme clé : le SS-Sturmbannführer Helmut Kämpfe. Commandant respecté au sein de la Das Reich et ami personnel d’Adolf Diekmann (un autre commandant de bataillon), Kämpfe fut capturé par le maquis le 9 juin.
En représailles aux atrocités de Tulle, l’ordre fut donné d’exécuter Kämpfe. Selon certains récits, sa fin fut aussi brutale que les crimes de sa division : il aurait été brûlé vif à l’intérieur d’une ambulance militaire allemande capturée, devant témoin.
L’Apocalypse d’Oradour-sur-Glane
La nouvelle de la mort de Kämpfe, et surtout la manière dont il aurait été tué, parvint aux oreilles de son ami Adolf Diekmann. Ivre de rage et de douleur, Diekmann décida de lancer une expédition punitive qui allait dépasser l’entendement.

Le 10 juin, sa colonne encercla le village paisible d’Oradour-sur-Glane. Ce qui s’y déroula n’était pas une opération militaire, mais une extermination. Les hommes furent mitraillés dans des granges, tandis que les femmes et les enfants – plus de 400 d’entre eux – furent enfermés dans l’église du village, qui fut ensuite incendiée et criblée de grenades.
Au total, 642 personnes périrent à Oradour. Le village fut pillé et réduit en cendres, laissé en l’état comme un mémorial fantomatique de la barbarie nazie.
Une Justice Inachevée
L’après-guerre laissa un goût amer aux survivants et aux familles des victimes. Si certains exécutants, comme Walter Schmald, furent capturés et exécutés par la Résistance, les hauts responsables échappèrent souvent à la corde. Le général Heinz Lammerding, qui commandait la division Das Reich et avait ordonné la répression, fut condamné à mort par contumace par un tribunal français en 1951. Pourtant, protégé par l’Allemagne de l’Ouest, il ne fut jamais extradé. Il vécut libre, prospère, et mourut dans son lit en 1971, sans jamais avoir répondu de ses crimes à Tulle ou Oradour.

Le Devoir de Mémoire
Aujourd’hui, les rues de Tulle et les ruines d’Oradour-sur-Glane demeurent des témoins silencieux. Elles nous rappellent que la guerre n’est pas seulement une affaire de stratégies et de frontières, mais une descente aux enfers où l’humanité peut s’effacer en un instant. Le massacre de Tulle, avec ses 99 martyrs suspendus dans le vide, et la tragédie d’Oradour qui en découla, forment une leçon d’histoire douloureuse mais nécessaire sur le prix de la liberté et les conséquences dévastatrices de la haine aveugle.