La pluie tambourinait contre les hautes fenêtres du château de Valmont situé au cœur de la Provence créant une mélodie mélancolique qui semblait raisonner avec le tourment intérieur d’Isabelle. C’était une nuit d’octobre 1830 et le vent d’automne soufflait avec une intensité inhabituelle, faisant trembler les volets de bois et siffler à travers les vignobles qui s’étendaient à perte de vue autour du domaine familial.
Isabelle de Valmont se tenait debout dans la bibliothèque, ses mains tremblantes serrant une lettre qu’elle venait de relire pour la 5è fois. À vingt ans, elle était une femme d’une beauté austère avec des cheveux chatins relevés en un chignon strict et des yeux gris qui reflétaient une intelligence aigue.

Son mari, le comte Édouard de Valmont, était mort six mois auparavant d’une fièvre soudaine, la laissant seule avec un empire viticole prospère mais sans héritier masculin pour perpétuer le nom de la famille. La lettre provenait de son beau-frère Armand de Valmont, un homme qu’elle méprisait profondément.
Dans sa correspondance, il réclamait avec une arrogance à peine voilée le domaine familial, argant que selon les lois de succession, une femme sans enfant ne pouvait prétendre conserver un tel héritage. Il lui donnait 6 mois pour quitter les lieux ou pour produire un héritier légitime qui pourrait justifier sa position. “Si mois”, murmura Isabelle.
sa voix se perdant dans l’immensité de la bibliothèque au mur tapissé de livres anciens. Elle savait qu’Armand était un joueur invétéré, un homme violent qui avait dilapidé sa propre fortune et qui convoitait désespérément les terres et les vignobles de Valmont.
Si elle perdait le domaine, tout ce pourquoi son défunt mari avait travaillé, tout ce qu’elle avait elle-même contribué à bâtir pendant dix années de mariage, serait détruit en quelques mois par la cupidité et l’incompétence d’Armand. Un coup discret à la porte, la sortie de ses pensées, Marguerite, sa dame de compagnie et confidente depuis l’enfance, entra dans la pièce avec un plateau de thé fumant.
“Madame, vous devez vous reposer dit Marguerite avec douceur, posant le plateau sur le bureau en acajou massif. “Vous vous épuisez à chercher des solutions qui n’existent peut-être pas.” Isabelle se tourna vers elle, ses yeux brillants d’une détermination farouche. Il existe toujours une solution, Marguerite. Toujours.
Elle s’assit lourdement dans le fauteuil de cuir près de la cheminée où un feu crépitait, combattant le froid d’octobre qui s’infiltrait dans la vaste demeure. Marguerite la connaissait depuis qu’elles étaient enfants, ayant grandi ensemble dans le domaine voisin avant qu’Isabelle n’épous le compte de Valmont. Elle pouvait lire sur son visage que son amie avait prise une décision, mais elle redoutait d’en connaître la nature.
“J’ai besoin d’un héritier”, déclara Isabelle soudainement, sa voix claire et déterminée raisonnant dans le silence de la bibliothèque. “Un enfant qui portera le nom de Valmont et qui me permettra de conserver ce domaine.” Marguerite s’assit en face d’elle, son visage exprimant l’inquiétude.
“Madame, vous êtes veuve depuis seulement 6 mois. Il serait inapproprié de je ne parle pas de me remarier l’interrompit Isabelle. Il n’y a pas de temps pour cela. Armand ne me donnera pas un an et encore moins le temps de courtiser, d’épouser et de concevoir légitimement un enfant.
Le silence s’installa entre elles, ponctué seulement par le crépitement du feu et le tambourinement incessant de la pluie. Marguerite comprit alors l’ampleur de ce qu’Isabelle envisageait et son visage pâit. Vous ne pouvez pas être sérieuse !” souffla-t-elle. Isabelle se leva et marcha jusqu’à la fenêtre, regardant la nuit orageuse au dehors.
Au loin, elle pouvait distinguer les lumières vaccillantes des habitations des travailleurs du domaine dispersé parmi les vignobles. Parmi eux vivaient Gabriel Morau, un homme qui occupait ses pensées depuis plusieurs semaines déjà. Gabriel était arrivé au domaine cinq ans auparavant, ramené de Saint-Domingue par le comte Édouard lors d’un de ses voyages d’affaires.
Officiellement affranchi, selon les lois métropolitaines françaises qui interdisait l’esclavage sur le sol de France depuis 1315, Gabriel demeurait néanmoins dans une position sociale précaire. Homme de couleur dans une société qui proclamait l’égalité mais pratiquait la discrimination.
Il travaillait dans les vignobles avec une compétence remarquable, ayant appris l’art de la vinification dans les plantation des Antilles françaises. Mais ce n’était pas seulement son expertise viticole qui avait attiré l’attention d’Isabelle. Gabriel était un homme instruit ayant appris à lire et à écrire grâce à un maître bienveillant avant l’insurrection de 1791 qui avait ravagé Saint-Domingue.
Le compte Édouard, impressionné par son intelligence, lui avait permis d’accéder à la bibliothèque du château et Isabelle l’avait souvent aperçu tard le soir, lisant Voltaire, Rousseau et Montesqueieux à la lueur d’une chandelle. Il avait 28 ans, le même âge qu’elle, avec une prestance naturelle qui démentait sa condition sociale.
Grand avec une musculature développée par le travail dans les vignes, il possédait des traits fins, des yeux noirs pénétrants et une intelligence qui transparaissait dans chacune de ces paroles mesurées. “Gabriel Morau, dit Isabelle finalement, prononçant son nom pour la première fois dans ce contexte. Marguerite se leva brusquement. Madame, c’est de la folie.
Vous risquez tout, votre réputation, votre position sociale, peut-être même votre vie. Si quelqu’un découvrait, personne ne découvrira rien ! Coupa Isabelle avec fermeté. Je lui proposerai un arrangement, un contrat, si l’on veut. Il me donnera un enfant et en échange, je lui donnerai non seulement sa liberté complète avec des papiers en règles qui lui garantiront tous ses droits, mais également une somme d’argent suffisante pour recommencer une nouvelle vie où il le souhaite. Loin d’ici, loin des préjugés. Elle se retourna vers
Marguerite et celle-ci vit dans ses yeux une résolution qu’elle n’avait jamais vu auparavant. C’est un homme intelligent et cultivé. Il comprendra que c’est une opportunité unique pour lui d’échapper définitivement à l’ombre de l’esclavage qui le poursuit même ici sur le sol français.
Marguerite secoua la tête mais elle connaissait suffisamment son ami pour savoir que lorsqu’Isabelle avait pris une décision rien ne pourrait l’en dissuader. Et si l’enfant s’il a les traits physiques qui révèlent, l’enfant sera élevé comme un Valemmon, déclara Isabelle avec force. Mon défunt mari avait des ancêtres espagnols avec un teint basané.
Personne ne questionnera l’apparence d’un enfant conçu dans le mariage légitime avec le compte. Le plan était audacieux, dangereux même, mais c’était le seul moyen qu’Isabelle avait pu concevoir pour sauver son domaine et son indépendance. Dans une France post-révolutionnaire qui proclamait liberté, égalité et fraternité, mais qui maintenait rigidement ses hiérarchie sociales et ses préjugés raciaux, ce qu’elle s’apprêtait à faire était non seulement scandaleux, mais potentiellement criminel. “Quand comptez-vous lui parler ?”
demanda Marguerite résigné. Ce soir, répondit Isabelle, envoyez-le chercher. Dis-lui que j’ai besoin de le voir concernant une affaire importante relative au vignoble. Marguerite hésita, puis hoa la tête et quitta la pièce, laissant Isabelle seule avec ses pensées et le feu qui crépitait dans la cheminée.
Une heure plus tard, Gabriel Morau se tenait devant la porte de la bibliothèque, son cœur battant d’appréhension. Être convoqué au château à une heure aussi tardive était inhabituel et il se demandait quelle faute il avait pu commettre. Il portait ses vêtements de travail les plus propres, une chemise de lain blanc, un pantalon de laine brune et des bottes qu’il avait pris soin de nettoyer avant de monter depuis les habitations des travailleurs.
Il frappa doucement à la porte. “Entrez !” dit la voix claire d’Isabelle. Gabriel ouvrit la porte et pénétra dans la bibliothèque. Il avait passé de nombreuses soirées dans cette pièce absorbée dans la lecture des philosophes des Lumières. Mais cette fois, l’atmosphère était différente. Isabelle se tenait près de la cheminée, vêt d’une robe de deuil noire qui accentuait la paleur de son visage.
Elle semblait à la fois fragile et redoutablement déterminée. “Madame de Valmont !” dit Gabriel en s’inclinant respectueusement. Asseyez-vous, Gabriel !”, dit-elle, indiquant le fauteuil en face du sien. Il hésita, surpris par cette familiarité inhabituel, mais obéit. Le silence s’installa, rompu seulement par le crépitement du feu.
Isabelle l’observait intensément, comme si elle jaeait quelque chose en lui qu’elle n’avait jamais remarqué auparavant. “Je suppose que vous vous demandez pourquoi je vous ai fait venir à cette heure”, commença-t-elle finalement. Oui, madame”, répondit Gabriel, sa voix grave trahissant une légère nervosité. Isabelle prit une profonde inspiration.
Ce qu’elle s’apprêtait à dire changerait tout pour eux deux. “Je me trouve dans une situation délicate, Gabriel. Mon beau-frère cherche à me dépouiller de ce domaine au motif que je n’ai pas d’héritier masculin pour perpétuer le nom de Valmont.” Gabriel l’écouta attentivement, se demandant où elle voulait en venir. “J’ai besoin d’un enfant”, poursuivit-elle.
Sa voix restant étonnamment calme malgré l’énormité de ce qu’elle s’apprêtait à proposer. Un héritier qui me permettra de conserver ce domaine et de poursuivre l’œuvre que mon mari et moi avons bâti. Elle marqua une pause, cherchant ses mots avec soin. Je vous propose un arrangement, Gabriel. Vous me donnerez un enfant et en échange, je vous donnerai votre liberté complète avec tous les documents nécessaires pour garantir vos droits en tant que citoyen français libre.
ainsi qu’une somme de vingt mille francs qui vous permettra de recommencer une vie nouvelle où vous le souhaitez. Le silence qui suivit fut assourdissant. Gabriel la fixait incrédule, essayant de comprendre si elle était sérieuse ou si c’était quelque sorte de test cruel.

Son esprit travaillait rapidement, analysant les implications de cette proposition extraordinaire. “Madame, commença-t-il, savoir d’émotion, vous comprenez ce que vous me demandez ? Les risques que cela représente pour vous, pour votre réputation. Je comprends parfaitement, répondit Isabelle fermement. Et je comprends également que c’est une opportunité unique pour vous d’échapper définitivement aux chaînes invisibles qui vous retiennent, même ici sur le sol français où l’esclavage est théoriquement aboli, mais où les hommes de couleur restent des citoyens de seconde zone. Gabriel se leva et marcha
jusqu’à la fenêtre, regardant la nuit pluvieuse. Il pensait à Saint-Domingue, à l’horreur de l’esclavage qu’il avait connu enfant, aux révoltes sanglantes de 1791, à sa fuite vers la France où il avait découvert qu’être officiellement libre ne signifiait pas être véritablement égal.
Cette proposition, aussi choquante soit-elle, représentait effectivement sa meilleure chance d’échapper complètement au poids de son passé. “Et si je refuse ?” demanda-tement. Alors, je trouverai une autre solution, répondit Isabelle. Mais je crois que nous pouvons nous aider mutuellement, Gabriel. Vous êtes un homme intelligent, cultivé. Je vous respecte pour cela. Ce que je vous propose n’est pas un ordre, mais un contrat entre deux personnes qui ont besoin l’une de l’autre.
Gabriel se retourna pour la regarder. Pour la première fois, il la voyait vraiment, non pas comme la maîtresse du domaine, mais comme une femme vulnérable qui luttait pour sa survie dans une société qui ne laissait que peu de place aux femmes sans protection masculine. “J’accepte”, dit-il finalement, sa voix ferme malgré le tumulte d’émotion qui l’agitait. “Mais j’ai une condition.
” Isabelle leva un sourcil surprise. “Laquelle ? que vous me donniez votre parole d’honneur, que l’enfant, quel que soit son apparence, sera élevé avec amour et respect comme un véritable valmont et qu’il ne connaîtra jamais la honte ou le rejet. Isabelle sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine face à cette requête. Vous avez ma parole, dit-elle solennellement.
L’enfant sera mon héritier et sera aimé comme tel. Gabriel hoa la tête. Alors, nous avons un accord, madame de Valemmont. Ils se regardèrent dans le silence de la bibliothèque, conscient tous deux que ce moment changerait irrévocablement le cours de leur vie. Ce qui avait commencé comme une transaction pragmatique allait bientôt se transformer en quelque chose de bien plus dangereux et profond qu’aucun d’eux n’aurait pu imaginer.
Les semaines qui suivirent l’accord furent marquées par une tension palpable au château de Valmont. Isabelle avait établi un protocole strict pour leur rencontre. Gabriel viendrait au château trois fois par semaine, toujours tard le soir après que les domestiques se soient retirés et il entrerait par la porte dérobée de la bibliothèque qui donnait sur les jardins. La première nuit, Gabriel monta jusqu’au château avec un mélange d’appréhension et de résolution.
La pluie avait cessé, laissant place à un ciel d’automne criblé d’étoiles qui cintillaient au-dessus des vignobles endormis. Il emprunta le sentier qu’Isabelle lui avait indiqué, évitant soigneusement les chemins principaux où il aurait pu être aperçu par les gardiens du domaine. Lorsqu’il entra dans la bibliothèque par la porte dérobée, il trouva Isabelle debout près de la cheminée, semblant encore plus nerveuse que lui.
Elle portait une robe de chambre de soi émeraude, par-dessus sa chemise de nuit, ses cheveux dénoués tombant sur ses épaules pour la première fois depuis qu’il la connaissait. Cette vision d’intimité le frappa comme une révélation. Elle n’était plus la conttesse austère, mais simplement une femme vulnérable. “Je pensais que nous pourrions parler d’abord”, dit Isabelle, sa voix trahissant son malaise.
“Je me suis rendu compte que malgré cinq années où vous avez travaillé ici, je ne sais presque rien de vous.” Gabriel fut surpris par cette approche. Il s’étaient attendu à ce qu’elles veuillent accomplir leur arrangement aussi froidement et efficacement que possible comme une simple transaction commerciale. Cette tentative de créer une certaine intimité avant l’acte physique démontrait une sensibilité qu’il n’avait pas anticipé.
“Que souhaitez-vous savoir, madame ?” demanda-t-il, s’asseyant dans le fauteuil qu’elle lui désignait. Appelez-moi Isabelle”, dit-elle doucement. “Du moins lorsque nous sommes seuls. Et parlez-moi de Saint-Domingue, de votre vie avant d’arriver ici.” Gabriel hésita.
Ses souvenirs étaient douloureux, enfoui profondément dans des recoins de son esprit qu’il préférait ne pas explorer. Mais il y avait quelque chose dans le regard d’Isabelle, une sincérité genuine qui le poussa à parler. “Je suis né esclave dans une plantation de canne à sucre. près du cap français, commença-t-il, sa voix se faisant plus grave à mesure qu’il se remémorait. Ma mère travaillait au champ, mon père, je ne l’ai jamais connu.
Le maître de la plantation, monsieur Baumont, était un homme cultivé qui croyait que les esclaves éduqués étaient plus efficace. Il m’a fait apprendre à lire et à écrire, ce qui était extrêmement rare. Isabelle l’écoutait avec une attention intense, ses yeux gris fixés sur lui. En 1791, lorsque la révolte a éclaté, j’avais 14 ans, poursuivit Gabriel, son regardant dans les flammes de la cheminée. J’ai vu des choses, des horreurs que personne ne devrait jamais voir.
La violence des esclaves révoltés était terrible, mais elle ne faisait que refléter la violence qu’ils avaient subi pendant des générations. Monsieur Baumont a été tué lors de la première nuit de l’insurrection. Il m’avait caché dans une cave avec quelques autres esclaves domestiques, nous suppliant de ne pas révéler où il se trouvait.
Et vous l’avez fait ? Demanda Isabelle doucement. Non ! Répondit Gabriel, une ombre passant sur son visage. Malgré tout ce qu’il m’avait appris, il m’avait également possédé comme on possède un objet. Je n’ai rien dit, mais je n’ai pas non plus révélé sa cachette. J’ai simplement observé.
Dans ce chaos, ma mère a été tuée, prise entre les feux croisés des révoltés et des milices blanches. Isabelle se pencha en avant, touchant brièvement sa main dans un geste de compassion spontané. Je suis désolé. Gabriel regarda leurs mains se toucher, surpris par ce contact humain simple. Après la révolte, j’ai réussi à embarquer sur un navire marchand en direction de la France. Votre défunt, Marie, le com Édouard.
m’a trouvé sur les quai de Marseille 5 ans plus tard travaillant comme débardeur. Il m’a offert un poste dans ses vignobles, sachant que j’avais une expérience de l’agriculture tropicale. Il a été bon avec moi, plus juste que la plupart. Isabelle hocha la tête. Édouard croyait en la philosophie des Lumières, en l’égalité des hommes tel que proclamé par la révolution.
Il aurait été horrifié par ce karm compte faire de ce domaine. Ils parlèrent pendant des heures cette première nuit, partageant leurs histoires, leurs espoirs et leurs peurs. Isabelle lui raconta son mariage arrangé avec le comte, un homme de 20 ans, son aîné, qu’elle avait fini par respecter, si non aimer. Elle lui parla de sa passion pour la gestion du domaine, de son désir de moderniser les techniques viticoles, de ses frustrations face à une société qui ne voyait en elle qu’une femme ornementale, sans capacité
intellectuelle ou administrative propre. Gabriel à son tour lui parla de ses lectures nocturnes dans cette même bibliothèque de sa fascination pour Rousseau et son contrat social pour Voltaire et sa critiqueerbe des injustices sociales. Il lui révéla son rêve secret d’ouvrir un jour sa propre exploitation quelque part où sa couleur de peau ne serait pas un obstacle insurmontable.
Lorsque finalement ils montèrent à la chambre d’Isabelle, ce ne fut plus deux étrangers accomplissant une transaction, mais deux âmes qui avaient commencé à se reconnaître mutuellement. Leur intimité physique, bien que teintée d’une certaine maladresse initiale, fut empreinte d’un respect et d’une tendresse surprenante.
Les semaines s’écoulèrent et leurs rencontres nocturnes prirent un rythme régulier. Chaque fois, il passait d’abord des heures à converser dans la bibliothèque. Gabriel lui enseignait ce qu’il savait de la culture de la canne à sucre et du café, faisant des parallèles avec la viticulture provençale. Isabelle lui parlait de littérature française partageant sa passion pour les œuvres de Madame de Sty et George Sand, ces femmes écrivaines qui défiaient les conventions de leur temps.
Une nuit de novembre particulièrement froide, alors qu’ils étaient assis près du feu après avoir fait l’amour, Isabelle posa une question qui la tourmentait depuis des semaines. Gabriel, est-ce que cela vous pèse ? Notre arrangement, je veux dire. Est-ce que vous vous sentez utilisé ? Il la regarda longuement avant de répondre, caressant distraitement ses cheveux dénoués qui brillaient à la lueur des flammes.
“Au début, oui”, admit-il honnêtement. Mais maintenant, maintenant je ne sais plus ce que nous partageons, ces conversations, cette intimité, c’est devenu plus que ce que j’avais imaginé. Et vous ? Isabelle détourna le regard troublé par ses propres émotions.
Je pensais que ce serait purement pragmatique, une nécessité pour sauver mon domaine. Mais je me surprends à attendre nos rencontres avec quelque chose qui ressemble à de l’impatience, de l’anticipation. C’est dangereux, murmura Gabriel, bien qu’il ressentit exactement la même chose. “Je sais”, répondit Isabelle, “ais l’empêcher.” Ils restèrent silencieux, conscient tous deux qu’il glissait sur une pente dangereuse.
Ce qui avait commencé comme un arrangement calculé se transformait en quelque chose de plus profond, de plus authentique et infiniment plus périlleux pour tous les deux. C’est lors d’une de ces nuits que Marguerite, inquiète pour son amie, décida d’intervenir.
Elle attendit que Gabrielle soit partie pour entrer dans la chambre d’Isabelle où celle-ci se tenait près de la fenêtre, observant sa silhouette disparaître dans l’obscurité des jardins. “Vous êtes en train de tomber amoureuse de lui !” dit Marguerite sans préambule. Isabelle se retourna brusquement. “Ne sois pas ridicule. Je vous connais depuis que nous sommes enfants, Isabelle. Je vois comment vous le regardez.
Comment votre visage s’illumine lorsqu’il arrive ? Ce n’est plus simplement un arrangement pour obtenir un héritier, n’est-ce pas ?” Isabelle voulut nier, mais les mots se coincèrent dans sa gorge. Elle marcha jusqu’à son lit et s’assit lourdement son visage dans ses mains.

“Que Dieu me pardonne, Marguerite, mais je crois que tu as raison. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Il est tellement différent de ce que j’attendais. Il est intelligent, sensible. Il me parle d’égal à égal d’une manière qu’Edouard n’a jamais fait, qu’aucun homme n’a jamais fait. Marguerite s’assit à côté d’elle, prenant sa main.
Vous savez que cela ne peut mener nulle part. Même si vous portez son enfant, même si vous réussissez à sauver le domaine, il devra partir. C’était votre accord. Et même s’il restait, la société ne tolérerait jamais une union entre vous deux. Je sais, dit Isabelle, des larmes silencieuses roulant sur ses joues.
Je sais tout cela, mais comment peut-on contrôler son cœur ? Comment puis-je arrêter de ressentir ce que je ressens ? Marguerite la serra dans ses bras, son propre cœur se serrant de compassion pour son ami. Soyez prudente, Isabelle, protégez-vous, car si ce secret est découvert, ce ne sera pas seulement votre réputation qui sera détruite, mais peut-être vos vies également. En décembre, Isabelle suut qu’elle était enceinte.
Les symptômes étaient indéniables, les nausées matinales, l’épuisement, les changements subtils de son corps. Le médecin de famille, appelé sous prétexte d’un malaise général, confirma ce qu’elle savait déjà. Il la félicita chaleureusement, lui disant que le compte Édouard aurait été ravi de savoir qu’un héritier poste viendrait perpétuer le nom de Valmont.
Ce soir-là, lorsque Gabriel vint au château, Isabelle lui annonça la nouvelle dans la bibliothèque. Elle s’attendait à ce qu’ils soi soulagé, heureux même, que leur arrangement ait porté ses fruits et qu’il pourrait bientôt recevoir sa liberté et l’argent promis pour commencer sa nouvelle vie. Au lieu de cela, elle vit passer sur son visage une série d’émotions complexes, du soulagement certes, mais aussi quelque chose qui ressemblait à de la tristesse, voire du regret.
C’est une excellente nouvelle, dit-il finalement, mais sa voix manquait de conviction. Gabriel, dit Isabelle doucement, s’approchant de lui. Qu’est-ce qui ne va pas ? Il la regarda et pour la première fois, elle vit toute la vulnérabilité qu’il cachait habituellement derrière son masque de contrôle. Cela signifie que notre arrangement est terminé, que je devrais bientôt partir.
Isabelle sentit son cœur se serrer douloureusement. C’était notre accord, dit-elle. bien que chaque mot lui coûta. “Je sais”, répondit Gabriel, “ma n’avais pas prévu je n’avais pas prévu cela. Il fit un geste entre eux deux, incapable de mettre des mots sur ce qui s’était développé.
Ils se regardèrent dans le silence de la bibliothèque, le feu crépitant, créant des ombres danses sur les murs tapissés de livres. Entre eux, c’était issé quelque chose d’inattendu et de profondément dangereux, un lien authentique, une connexion intellectuelle et émotionnelle qui transcendait les barrières de classe, de race et de circonstances qui auraient dû les séparer.
“Peut-être devrions-nous mettre fin à nos rencontres maintenant,” dit Isabel, bien que son cœur hurla contre cette idée. “Le but est accompli. Il serait plus sage de plus sage,” répéta Gabriel amèrement. Oui, ce serait certainement plus sage. Mais est-ce ce que vous souhaitez vraiment ? Isabelle ferma les yeux, luttant contre les émotions qui menaçaient de la submerger. Ce que je souhaite et ce qui est possible sont deux choses différentes.
Gabriel, vous le savez aussi bien que moi. Alors, dites-moi que vous ne ressentez rien dit-il avec une intensité soudaine, s’approchant d’elle. Dites-moi que ces mois n’ont rien signifié pour vous, que je n’ai été qu’un moyen pour atteindre votre but.
Si vous pouvez me dire cela honnêtement, je partirai ce soir-même et vous ne me reverrez plus jamais. Isabelle ouvrit les yeux et le regarda, ce bel homme qui était entré dans sa vie par nécessité et qui avait fini par occuper une place qu’elle n’avait jamais pensé possible. Elle savait qu’elle devrait mentir pour son bien à lui, pour sa propre protection.
un mot, une phrase et il serait libéré de cet attachement dangereux. Mais elle ne pu le faire. Je ne peux pas, chuchota-t-elle, des larmes roulant sur ses joues. Je ne peux pas vous dire cela parce que ce serait un mensonge. Gabriel, je j’ai peur de ce que je ressens pour vous. Il la prit dans ses bras et elle s’abandonna contre lui, pleurant silencieusement contre son épaule.
Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes, enlacés près du feu mourant, sachant tous deux qu’ils avaient franchi un point de non retour, ce qui avait commencé comme un simple arrangement pragmatique s’était transformé en quelque chose de beaucoup plus puissant et dangereux, de l’amour véritable dans une société qui ne leur permettrait jamais de le vivre ouvertement.
L’hiver s’installa sur la Provence avec une rigueur inhabituelle. Les vignobles de Valmont étaient couverts d’un manteau blanc et le château lui-même semblait se recroquviller contre le froid mordant qui s’infiltrait à travers ces vieilles pierres. Isabelle passait ses journées à gérer le domaine avec une énergie renouvelée, motivée par la certitude qu’elle allait le conserver pour son enfant à naître.
Elle avait envoyé une lettre triomphante à Harmand l’informant qu’elle portait l’héritier poste du comte Édouard de Valemmont et que par conséquent toutes ses prétentions sur le domaine étaient caduc. La réponse d’Armand avait été prévisible. D’abord de l’incrédulité puis de la rage contenue derrière des félicitations forcées.
Il avait cependant ajouté une phrase qui avait glacé le sang d’Isabelle. J’espère que cet enfant sera digne du nom de Valmont. Il serait tragique que des doutes subsistent quant à sa légitimité. C’était une menace à peine voilée. Armand était suspicieux et Isabelle savait qu’il ne renoncerait pas facilement à l’héritage qu’il convoitait. Il faudrait être extrêmement prudente.
Malgré la sagesse qui aurait voulu qu’ils cessent leur rencontre, Isabelle et Gabriel continuèrent à se voir, incapable de résister à l’attraction qui les liait. Leur nu ensemble avait changé de nature. L’urgence physique avait cédé la place à une tendresse profonde, à des heures passé simplement enlacé, parlant de tout et de rien, ou parfois ne disant rien du tout, simplement savourant la présence l’un de l’autre.
Gabriel avait commencé à lui enseigner le créole qu’il avait parlé enfant à Saint-Domingue et Isabelle riait de ses tentatives maladroite de prononcer des mots qui semblaient danser hors de sa langue française bien formée. En retour, elle lui apprenait les subtilités de la gestion d’un domaine viticole, partageant avec lui des connaissances qu’elle n’avait jamais partagé avec son propre mari qui considérait ces questions comme indigne de l’attention d’une femme.
“Si vous aviez les moyens, quel type d’exploitation établiriez-vous ?” lui demanda Isabelle une nuit de janvier, alors qu’ils étaient allongés dans son lit, écoutant le vent hurler à l’extérieur ? Gabriel réfléchit un moment, caressant distraitement ses cheveux épar sur l’oreiller. “Je crois que je choisirai le café”, dit-il finalement. “C’est une culture noble qui demande de la patience et du savoir-faire.
Peut-être en Amérique du Sud, dans un endroit où le climat serait favorable et où ma couleur de peau ne serait pas un obstacle insurmontable.” “Le Brésil,” suggéra Isabelle. Peut-être, répondit Gabriel, ou la Colombie, des endroits où l’on pourrait recommencer construire quelque chose de nouveau, loin des fantômes du passé. Isabelle resta silencieuse, imaginant cette vie qu’il décrivait, une vie dont elle ne pourrait jamais faire partie.
“Quand partirez-vous ?” demanda-telle doucement, bien qu’elle redouta la réponse. “Ars la naissance de l’enfant, répondit Gabriel, je veux m’assurer que tout se passe bien pour vous deux et puis, je veux le voir, ne serait-ce qu’une fois, mon enfant.” Ces deux mots, mon enfant, raisonnèrent dans le silence de la chambre.
C’était la première fois qu’il revendiquait ainsi sa paternité et Isabelle sentit quelque chose se briser dans sa poitrine. “Gabrielle !” commença-t-elle, se redressant pour le regarder. Je ne sais pas comment nous allons supporter cela. Comment allons-nous vivre en sachant que nous nous aimons mais que nous ne pouvons jamais être ensemble ? Il s’incite également, prenant son visage entre ses mains.
Nous survivrons parce que nous devons survivre pour l’enfant, pour tout ce que nous avons chacun construit et sacrifié. L’amour n’est pas toujours suffisant, Isabelle. Parfois, la survie et la dignité doivent passer en premier. Je vous haie de dire cela”, murmura Isabelle, bien qu’elle su qu’il avait raison. “Je vous ai d’être si raisonnable alors que je voudrais juste je voudrais juste que nous puissions être libres d’aimer qui nous voulons.
” “Moi aussi”, dit Gabriel l’embrassant doucement. “ma ne vivons pas dans un monde qui le permet. Peut-être que l’enfant, lui, connaîtra un monde différent. C’est le mieux que nous puissions espérer. Leur conversation fut interrompue par un bruit soudain en provenance du couloir. Départ rapide suivi d’un coup urgent frappé à la porte.
Madame Madame Isabelle ! C’était la voix paniquée de Marguerite. Gabriel se leva immédiatement enfilant rapidement ses vêtements. Isabelle passa sa robe de chambre et ouvrit la porte juste assez pour voir Marguerite. Le visage blême d’anxiété. Qu’y a-t-il ? demanda Isabelle. “C’est armant !” souffla Marguerite. Il est arrivé au château il y a une heure.
Il dit qu’il vient rendre visite à sa belle-sœur mais les domestiques l’ont entendu poser des questions étranges fouinant partout. “Je crois qu’il vous espionne.” Le sang d’Isabelle se glaça. Si Harmand découvrait Gabriel dans sa chambre au milieu de la nuit, ce serait la catastrophe. Non seulement son plan pour sauver le domaine s’effondrerait, mais Gabriel risquerait probablement la prison, voire pire.
“Où est-il maintenant ?” demanda-t-elle, s’efforçant de garder son calme. “Dans le salon, prétendant boire du cognac avant de se retirer, mais je ne lui fais pas confiance. Il a ce regard ce regard calculateur.” Gabriel apparut derrière Isabelle, complètement habillé. Je dois partir immédiatement”, dit-il à voix basse. “Non, dit Isabelle fermement.
Si Armand vous voit sortir du château à cette heure, il deviendra encore plus suspicieux. Marguerite, conduis-le dans l’ancienne aile abandonnée. Il y a des chambres là-bas où personne ne va jamais. Il pourra y rester caché jusqu’à l’aube puis sortir discrètement avec les premiers travailleurs qui viennent au vignoble.” Marguerite hoa la tête et fit signe à Gabriel de la suivre.
Avant de partir, il se retourn vers Isabelle, leur regard se croisant dans un moment chargé d’angoisse et d’amour non dit. Puis il disparut dans l’obscurité du couloir, suivant Marguerite vers la sécurité temporaire de l’aile abandonnée. Isabelle referma la porte et s’appuya contre elle, son cœur battant violemment. Elle devait reprendre contenance avant d’affronter Armand.
Elle se changea rapidement, recoiffant ses cheveux en un chignon strict et descendit au salon où son beau-frère l’attendait. Armand de Valemont était un homme de 45 ans avec un visage marqué par l’excès de boisson et de jeux. Ses yeux, autrefois peut-être beaux, étaient maintenant injectés de sang et constamment aux agget comme ceux d’un prédateur évaluant sa proie.
Lorsqu’Isabelle entra dans le salon, il se leva avec une courtoisie exagérée qui ne masquait pas son hostilité sous-jacente. “Cher Isabelle”, dit-il s’inclinant. “Je suis désolé de m’imposer ainsi, mais j’étais dans la région et je ne pouvais pas passer sans venir présenter mes respects à ma belle-sœur et à l’héritier à naître.” Vos respects sont appréciés”, répondit Isabelle froidement, bien que surprenant vu l’heure tardive de votre arrivée.
Armand sourit, mais le geste n’atteignit pas ses yeux. Les routes étaient difficiles avec la neige. “Je suis arrivé plus tard que prévu.” Il fit une pause, la scrutant. “Vous avez l’air épanoui. La grossesse vous !” Merci”, dit Isabelle, s’asseyant dans un fauteuil et l’invitant d’un geste à faire de même. “Combien de temps comptez-vous rester ?” “Oh, quelques jours seulement, répondit armand négligeamment.
Je souhaite m’assurer que tout est en ordre ici. Après tout, même si un héritier arrive, le domaine aura besoin d’une présence masculine forte pour le gérer. Une femme seule, enceinte, qui plus est, ne peut certainement pas s’occuper de toutes les affaires complexes d’une telle exploitation.” Isabelle sentit la colère monter en elle.
Je gère ce domaine depuis la mort d’Edouard avec une efficacité que vous seriez bien incapable d’égaler armand. Les revenus ont augmenté de 15 % cette année et nos vins commencent à être reconnus dans toute la région. Impressionnant dit Armand, mais son était condescendant. Néanmoins, je me sens obligé, en tant que seul parent masculin survivant d’Édouard, de veiller sur vos intérêts et sur ceux de l’enfant naturellement.
Il la regardait avec une intensité qui mettait Isabelle mal à l’aise. Elle savait qu’il cherchait quelque chose, une faille, une preuve que l’enfant n’était pas légitime. Elle devait être extrêmement prudente. “Votre sollicitude est touchante mais inutile”, dit-elle en se levant, signalant la fin de leur conversation.
Il est tard et je dois me reposer. Je suis sûr que vous comprenez. Armand se leva également mais s’approcha d’elle avec un sourire qui ressemblait plus à un rictus. Bien sûr, bien sûr. Mais avant que vous ne partiez, j’ai une question. J’ai entendu des rumeurs au village concernant un de vos travailleurs, un homme de couleur qui aurait accès à votre bibliothèque, qui serait proche de la famille.
Le cœur d’Isabelle manqua un battement, mais elle garda son visage impassible. Gabriel Morau, c’était un protégé de mon défunt mari. Édouard croyait en l’éducation pour tous, indépendamment de leur origine. Il n’y a rien de scandaleux là-dedans. Naturellement, dit Armand, mais son regard resta calculateur. Je serais intéressé de rencontrer cet homme demain. Peut-être.
Il travaille au vignoble, répondit Isabelle sèchement. Comme tous les autres travailleurs. Si vous souhaitez inspecter le domaine, je serais heureuse de vous accompagner. Armand hocha la tête et prit finalement congé. Mais alors qu’il montait l’escalier vers la chambre d’invité, il se retourna une dernière fois.
Dormez bien Isabelle et faites attention. Un héritage aussi important doit être protégé contre toute irrégularité. Lorsqu’il disparut à l’étage, Isabelle sentit ses jambes se dérober sous elle. Elle s’effondra dans le fauteuil tremblante. Marguerite apparut des ombres, la soutenant. Il sait quelque chose, murmura Isabelle, ou du moins il soupçonne.
Gabriel est en sécurité pour l’instant, répondit Marguerite. Mais vous avez raison, armant et dangereux, vous devez être extrêmement prudente. Cette nuit-là, Isabelle ne dormit presque pas, angoissé par la présence d’Armand dans son château et par l’idée que Gabriel était caché quelque part dans l’aile abandonnée. À l’aube, elle envoya discrètement Marguerite pour s’assurer qu’il avait pu quitter le château sans être vu.
Marguerite revint une heure plus tard, confirmant que Gabriel était retourné aux habitations des travailleurs avec les premiers ouvriers du matin et qu’apparemment personne ne l’avait remarqué. Mais elle apporté aussi de mauvaises nouvelles. Arrmand a déjà envoyé un de ses hommes au village, dit-elle.
Il pose des questions sur vous, sur le compteard, sur sur Gabriel. Il cherche quelque chose qu’il pourrait utiliser contre vous. Isabelle comprit alors qu’elle et Gabriel ne pourraient plus se voir, du moins pas tant qu’arrant seraient dans les parages. C’était trop risqué. Elle envoya un message discret à Gabriel par l’intermédiaire de Marguerite, lui expliquant la situation et lui demandant de rester à l’écart jusqu’à ce qu’Armand soit parti. Les jours suivants furent une torture.

Armand restait au château, observant tout, posant des questions apparemment innocente mais clairement calculé pour débusquer un secret. Il interrogeait les domestiques, inspectait les livres de compte, se promenait dans le domaine en observant les travailleurs.
Un après-midi, alors qu’Isabelle supervisait le travail dans les chais où les vins vieillissaient dans leur tonneau, Armand apparut accompagné de deux hommes qu’elle ne reconnut pas. “Ma chère belle-sœur”, dit-il avec un sourire qui ne promettait rien de bon. “Permettez-moi de vous présenter monsieur Beau et Monsieur Dubois. Ce sont des enquêteurs privés que j’ai engagé pour assurer la sécurité du domaine. Isabelle sentit un frisson de peur parcourir son échine.
La sécurité du domaine n’a jamais été un problème, Marmand. Pourquoi auriez-vous besoin d’enquêteurs ? Simple précaution, répondit Armand légèrement. Avec un héritier en route, il est important de s’assurer que tout est en ordre. Ces messieurs vont simplement poser quelques questions aux employés. vérifier les antécédents ce genre de chos.
Isabelle comprit immédiatement l’objectif réel. Armand allait faire enquêter sur Gabriel, cherchant à établir un lien entre eux qui pourrait discréditer sa grossesse. Elle devait agir rapidement. “Je vois”, dit-elle calmement, bien que son cœur bâtit la chamade.
“Dans ce cas, je vous suggère de commencer par le contremaître, monsieur Dupont. Il connaît tous les travailleurs et pourra vous fournir toutes les informations nécessaires. Cette nuit-là, Isabelle envoya Marguerite avec un message urgent pour Gabriel. Elle lui expliquait la situation et lui disait qu’il devait partir immédiatement, quitter le domaine pour sa propre sécurité.
Elle joignait 5000 francs, un/art de la somme promise, et lui disait de s’enfuir loin, de commencer la nouvelle vie qu’il avait toujours rêvé. Mais la réponse de Gabriel transmise par Marguerite fut catégorique. Il ne partirait pas. Il ne laisserait pas Isabelle affronter seul Armand et ses enquêteurs.
Si nécessaire, il témoignerait qu’il n’avait jamais eu de relations inappropriées avec elle, qu’il était simplement un employé comme les autres. Isabelle pleura en lisant son message, déchiré entre l’amour qu’elle ressentait pour lui et la terreur de ce qui pourrait arriver s’il restait. Elle savait qu’Armand ne reculerait devant rien pour la déposséder du domaine et Gabriel, avec sa couleur de peau et son statut social précaire serait une cible facile.
Le destin cependant allait intervenir d’une manière qu’aucun d’eux n’aurait pu prévoir. Février apporta un dégel soudain, transformant les routes en rivière debout et isolant partiellement le château de Valmont du reste du monde. Frustré par son incapacité à trouver des preuves concrètes contre Isabelle, malgré les efforts de ses enquêteurs devint de plus en plus irritable et menaçant.
Les enquêteurs avaient interrogé tous les employés du domaine, y compris Gabriel. Celui-ci avait maintenu avec une dignité impressionnante qu’il n’était qu’un simple travailleur qui avait eu la chance d’accéder à la bibliothèque du défunctte pour son éducation personnelle. Il n’avait jamais, affirma-t-il, eu de contact inapproprié avec Mame de Valemmont. Les autres employés corroborèrent son témoignage.
Soit parce qu’ils ignoraient véritablement la vérité, soit parce qu’ils respectaient suffisamment Isabelle pour protéger son secret. Mais Armand n’était pas convaincu. Il sentait qu’il y avait quelque chose, un secret qui lui échappait et son obsession pour le découvrir grandissait de jour en jour. C’est alors qu’un incident inattendu changea complètement la dynamique de la situation.
Un matin de la mi-février, un incendie se déclara dans l’une des granges où était entreposé une partie de la récolte de raisins séchés destiné à la production d’un vin doux, particulier. L’alarme fut donnée rapidement et tous les habitants du domaine se précipitèrent pour combattre les flammes qui menaçaient de se propager aux autres bâtiments et au chas contenant des milliers de litres de vin précieux.
Isabelle, malgré sa grossesse qui commençait à être visible, fut parmi les premiers à arriver sur les lieux, organisant les effort pour former des chaînes humaines transportant de l’eau depuis le puit le plus proche. Gabriel était là également, dirigeant un groupe d’hommes qui tentaient de sauver ce qui pouvait l’être de la grange en flamme.
C’est au milieu de ce chaos qu’arm fit son apparition. Il resta en retrait, observant la scène avec un mélange de calcul et de satisfaction qui dégoûta Isabelle. Elle comprit immédiatement qu’il n’avait aucune intention d’aider qu’il voyait probablement dans cette catastrophe une opportunité de démontrer son incompétence à gérer le domaine.
Soudain, un cri d’alarme retentit. Un des jeunes travailleurs, Pierre, un garçon de quinze ans, était resté piégé à l’intérieur de la grange, apparemment assommé. par une poutre qui s’était effondrée. Les flammes avaient maintenant complètement englouti l’entrée principale, rendant tout sauvetage extrêmement dangereux.
Sans une seconde d’hésitation, Gabriel se précipita vers le bâtiment en feu, ignorant l’écrit qui lui ordonnait de s’arrêter. Isabelle hurla son nom terrifié, mais il avait déjà disparu dans les flammes et la fumée noire. Les minutes qui suivirent furent les plus longues de la vie d’Isabelle.
Elle resta figée, incapable de respirer, ses mains pressées contre sa bouche, priant tous les saints qu’elle connaissait pour qu’il ressorte vivant. Autour d’elle, les gens continuaient à combattre l’incendie, mais son monde entier s’était réduit à cette grange enflamme où l’homme qu’elle aimait risquait sa vie.
Puis, à travers la fumée, deux silhouettes émergèrent. Gabriel portait Pierre dans ses bras, le jeune homme inconscient mais visiblement vivant. Gabriel lui-même était couvert de suit. ses vêtements en partie brûlée et il toussait violemment à cause de la fumée qu’il avait inalée. Mais il était vivant.
Isabelle courut vers lui, oubliant toute prudence, toute nécessité de maintenir les apparences. Elle le rejoignit au moment où il déposait doucement pierre sur le sol où d’autres s’empressèrent de s’occuper du garçon blessé. “Gabriel !” cria-telle, se précipitant vers lui. Il se retourna vers elle, ses yeux rougis par la fumée et, pendant un instant suspendu dans le temps, leur regards se croisèrent avec une intensité qui révéla tout ce qu’ils avaient si soigneusement caché.
L’amour, la peur, le soulagement, tout était là, visible pour quiconque aurait regardé attentivement. Et quelqu’un regardait attentivement. Armand de Valmont, debout à l’écart de la foule qui applaudissait maintenant l’héroïsme de Gabriel, observait sa belle-sœur avec un sourire triomphant, se dessinant lentement sur son visage.
Isabelle s’arrêta net lorsqu’elle croisa le regard d’armand. Elle comprit immédiatement son erreur. Dans son soulagement de voir Gabriel vivant, elle avait laissé tomber son masque de distance aristocratique. Armand avait vu ce qu’il cherchait depuis des semaines, la preuve d’un lien émotionnel entre elle et Gabriel qui dépassait largement celui d’une maîtresse concernée par le bien-être d’un employé.
Gabriel, suivant son regard, vit également armant et compris, il se redressa, s’éloignant légèrement d’Isabelle. tentant de rétablir une distance appropriée. Mais c’était trop tard, le mal était fait. Le médecin du village arriva peu après, s’occupant de Pierre qui avait repris connaissance et de Gabriel, dont les brûlures, bien que superficiell, nécessitait des soins.
L’incendie fut finalement maîtrisé, ayant détruit la grange, mais épargné les bâtiments plus importants grâce aux efforts collectifs. Ce soir-là, alors qu’Isabelle supervisait le nettoyage et organisait l’hébergement temporaire pour ceux dont les habitations avaient été endommagé par les flammes, Armand l’approcha dans le grand salon du château.
“Remarquable démonstration de courage de la part de ce Gabriel Morau, dit-il avec une nonchalance calculée. Un homme vraiment exceptionnel. On pourrait presque dire qu’il fait partie de la famille vu l’intérêt que vous lui portez.” Isabelle se tourna vers lui, son visage impassible malgré la terreur qui l’envahissait.
Tout employé qui risque sa vie pour en sauver une autre mérite reconnaissance et respect. Armand, c’est ce que mon défunt mari aurait voulu. Bien sûr, bien sûr, dit Armand s’approchant d’elle. Mais il y a reconnaissance et il y a quelque chose de plus personnel, n’est-ce pas ? la façon dont vous avez couru vers lui, l’émotion sur votre visage.
On aurait dit une femme craignant pour son amant, pas une dame s’inquiétant pour un simple travailleur. Vous insinuez des choses monstrueuses dit Isabelle froidement, bien que son cœur bâtit à tout rompre. Je n’insinue rien ! Répliqua harmand, son sourire disparaissant pour révéler une expression de pure malveillance.
Je dis simplement ce que j’ai vu et je me demande cet enfant que vous portez est-il vraiment l’héritier poste du comte Édouard ou est-il le bâtard d’un esclave affranchi ? Le mot raisonna dans le silence du salon comme un coup de fouet. Isabelle pas mais un bon. Comment osez-vous suggérer une telle infamie ? Mon mari est mort il y a 8 mois.
La chronologie de ma grossesse est parfaitement cohérente avec les chronologies peuvent être manipulées l’interrompit Armand. Les médecins peuvent se tromper ou être soudoyés. Mais les yeux ne mentent pas, Isabelle et vos yeux lorsque vous avez regardé cet homme aujourd’hui disait une vérité que vous ne pouvez pas cacher.
Isabelle se redressa de toute sa hauteur, rassemblant toute la dignité aristocratique dont elle était capable. Vous n’avez aucune preuve de ces accusations scandaleuses. Si vous les répétez publiquement, je vous poursuivrai en justice pour diffamation. Oh, je trouverai des preuves premièrement, ces yeux brillants d’une détermination féroce.
Et quand je les aurai, non seulement ce domaine me reviendra, mais vous serez ruiné socialement. Une aristocrate qui couche avec un homme de couleur. La société ne vous pardonnera jamais cela, Isabelle. Vous serez déshonoré, banni, et votre bâtard n’héritera jamais de rien. Il se dirigea vers la porte puis se retourna une dernière fois.
Vous avez jusqu’à la fin de la semaine pour me transférer volontairement la propriété du domaine. Si vous refusez, je lancerai une enquête officielle sur la légitimité de votre grossesse. Réfléchissez bien à ce que vous préférez. perdre simplement le domaine ou perdre à la fois le domaine est votre honneur. Lorsqu’il fut, Isabelle s’effondra dans un fauteuil tremblante.
Marguerite, qui avait tout entendu depuis le couloir, se précipita à ses côtés. “Que pouvons-nous faire ?” demanda-t-elle désespérée. “Je ne sais pas”, murmura Isabelle. Il n’a pas de preuve concrète. Mais dans la société dans laquelle nous vivons, les soupçons peuvent être aussi destructeurs que les preuves.
Si Armand répand ses rumeurs, même sans preuve définitive, ma réputation sera détruite. Gabriel doit partir, dit Marguerite fermement immédiatement. Si Armand ne peut pas établir de lien entre vous deux, il ne pourra rien prouver. Mais cela confirmerait ses soupçons, protesta Isabelle. Pourquoi Gabriel fuirait-il s’il n’a rien à cacher ? Elles étaient prises au piège, piégées par leurs propres émotions et par les conventions impitoyables d’une société qui proclamait l’égalité mais pratiquait la discrimination la plus cruelle.
Cette nuit-là, défiant tous les risques, Gabriel vint au château une dernière fois. Ils se retrouvèrent dans la bibliothèque, cette pièce qui avait été le théâtre de leur première proposition, de leur conversation intellectuelle. de la naissance de leur amour impossible. “Je vais partir”, dit Gabriel sans préambule. “C’est la seule solution.
Si je reste, Armand continuera à chercher des preuves, à harceler les employés, à fouiller dans votre vie privée. Mais si je disparais, il n’aura plus de cible.” “Non, dit Isabelle avec véhéémance. Je ne vous laisserai pas sacrifier votre vie pour me protéger. Nous trouverons une autre solution. Gabriel s’approcha d’elle, prenant ses mains dans les siennes. Il n’y a pas d’autre solution, mon amour.
Nous le savions depuis le début, n’est-ce pas ? Que notre histoire ne pouvait pas avoir une fin heureuse dans ce monde-ci. La seule question était quand et comment elle se terminerait. Des larmes coulaient librement sur le visage d’Isabelle. Maintenant, je ne peux pas vous laisser partir. Je vous aime trop.
Et c’est précisément parce que nous nous aimons que je dois partir, répondit Gabriel, essuyant doucement ses larmes. Pour vous protéger, pour protéger l’enfant, notre enfant. Il posa sa main sur le ventre légèrement arrondi d’Isabelle. Il mérite de grandir en sécurité avec un nom respectable, des opportunités, pas dans la honte et le scandale. “Où irez-vous ?” demanda Isabelle sa voix brisée. “Loin, peut-être en Amérique du Sud.
comme nous en avions parlé, je prendrai l’argent que vous m’avez donné et je commencerai cette nouvelle vie que nous avions imaginé. Et peut-être qu’un jour, dans de nombreuses années, quand l’enfant sera grand et que les passions se seront calmées, je reviendrai voir comment il a grandi.
Ils s’embrassèrent une dernière fois, un baiser chargé de tout l’amour, le regret et la douleur de leur séparation imminente. Puis Gabriel se détacha doucement d’elle. Promettez-moi quelque chose”, dit-il. Promettez-moi que vous lui parlerez de moi, pas de la vérité complète peut-être, mais dites-lui qu’il y avait un homme qui l’aimait avant même sa naissance, qui a dû partir, mais qui n’a jamais cessé de penser à lui. “Je le promets”, souffla Isabelle.
Gabriel hoa la tête puis se dirigea vers la porte. À mi-chemin, il s’arrêta et se retourna une dernière fois. Sachez ceci, Isabelle de Valmont, vous m’avez donné plus que la liberté. Vous m’avez donné quelque chose que je croyais impossible pour un homme comme moi.
Vous m’avez donné de l’amour véritable et cela personne ne pourra jamais me l’enlever. Puis il disparut dans la nuit, laissant Isabelle seule avec son chagrin et l’enfant qui grandissait en elle. Le lendemain matin, lorsque le contemître rapporta que Gabriel Morau avait quitté le domaine pendant la nuit sans laisser de mots, Armand fut à la fois triomphant et frustré.
Le départ précipité de Gabriel semblait confirmer ses soupçons, mais sans le principal accusé présent, il ne pouvait pas prouver définitivement ses allégations. Il tenta néanmoins de poursuivre son offensive, engageant davantage d’enquêteurs interrogeant à nouveau tous les employés.
Mais personne ne savait où Gabriel était allé et personne ne pouvait ou ne voulait confirmer qu’il y avait eu une relation inappropriée entre lui et madame de Valemont. Finalement, après deux semaines d’efforts infructueux, Armand dut admettre sa défaite. Sans preuve concrète et avec Gabriel disparu, il ne pouvait pas contester légalement la légitimité de l’enfant à naître.
À contrecœur, il quitta le château de Valmont, jurant qu’il attendrait et guetterait toute opportunité future de s’emparer du domaine. Les mois suivants furent les plus sombres de la vie d’Isabelle. Elle gérait le domaine avec une efficacité mécanique, accomplissant toutes ses tâches avec perfection, mais son cœur n’y était plus.
Elle vivait dans un état de chagrin perpétuel, dissimulé derrière un masque de dignité aristocratique que seule Marguerite pouvait voir à travers. La nuit, elle se réveillait souvent en pleur, tendant la main vers un espace vide dans son lit, cherchant Gabriel qui n’était plus là. Elle passait des heures dans la bibliothèque assise dans le fauteuil où il s’était assis tant de fois, lisant les mêmes livres qu’il avait lu, essayant de se sentir proche de lui d’une manière ou d’une autre. Les villageois et les employés du domaine remarquèrent le changement en elle.

Certains l’attribuèrent aux humeurs de la grossesse, d’autres à la pression d’être une veuve enceinte, gérant seule un vaste domaine. Personne ne devina la véritable raison de sa mélancolie. En juin 1831, par une chaude soirée d’été où les cigales chantaient dans les vignobles et où l’air sentait la lavande et le teint sauvage, Isabelle donna naissance à un fils.
L’accouchement fut difficile durant presque vingteur, Isabelle souffrit terriblement, mais elle refusa de crier, serrant les dents avec une détermination farouche. Marguerite resta à ses côtés tout du long, lui tenant la main, l’encourageant. Lorsque finalement le bébé arriva, remplissant la chambre de ses cris vigoureux, le médecin le plaça dans les bras d’Isabelle.
Elle regarda son fils pour la première fois et son cœur se brisa et se recomposa simultanément. L’enfant avait les yeux de Gabriel, ses yeux noirs profonds et pénétrants et sa peau était légèrement plus foncée que celle d’Isabelle, mais pas suffisamment pour paraître suspecte dans une société qui connaissait les mélanges ancestraux et les variations de teint au sein des familles aristocratiques.
Ces traits étaient délicats, beaux et Isabelle y voyait à la fois Gabriel et elle-même dans une fusion miraculeuse. Comment l’appellerez-vous, madame ? demanda le médecin. Isabelle n’hésita qu’un instant. Alexandre, dit-elle, Alexandre Gabriel de Valmont. Le médecin nota le nom, ne remarquant pas la signification du second prénom, mais Marguerite comprit et des larmes coulèrent silencieusement sur ses joues.
Les semaines suivant la naissance, Isabelle découvrit un amour qu’elle n’avait jamais connu auparavant. Son amour pour Gabriel avait été passionné, intellectuel, bouleversant. Mais son amour pour Alexandre était primordial, absolu, une force de la nature qui dépassait tout ce qu’elle avait imaginé possible.
Elle refusa d’engager une nourrice, insistant pour allaitter elle-même son fils, un choix considéré comme inhabituel pour une aristocrate, mais qu’elle défendit avec fermeté. Elle passait des heures à le bercer, à lui chanter des berceuses, à observer chacune de ses expressions, cherchant Gabriel dans chaque sourire, dans chaque mouvement. Un mois après la naissance, une lettre arriva.
Elle venait de Marseille et ne portait pas de signature. Mais Isabelle reconnut immédiatement l’écriture soignée que Gabriel avait acquise durant ses années d’autoéducation. Ma bien-aimée Isabelle commençait la lettre. J’espère que cette missive vous trouve en bonne santé ainsi que notre enfant.
Je suis maintenant à Marseille travaillant sur les quai en attendant de trouver un navire qui m’emmènera vers ma nouvelle vie. Mais avant de partir pour toujours, je devais vous écrire une dernière fois. Je pense à vous chaque jour, chaque nuit. Je me demande si l’enfant est né, s’il vous ressemble ou s’il me ressemble, s’il est en bonne santé.
Ces questions me hanent, mais je sais que je ne peux pas y avoir de réponse. Pas maintenant, peut-être jamais. Sachez que mon amour pour vous n’a pas diminuer avec la distance. Au contraire, il semble grandir chaque jour, alimenté par le souvenir de nos nuits ensemble, de nos conversations, de votre rire, de la façon dont vos yeux brillaient lorsque vous discutiez d’un sujet qui vous passionnait.
Je quitterai la France dans quelques jours, direction Buenos Aires. J’ai entendu dire qu’en Argentine, les hommes comme moi ont plus d’opportunités, que la couleur de peau importe moins qu’en Europe. Je vais essayer de construire cette vie dont nous avions parlé, cette exploitation de café dans les montagnes.
Ce ne sera pas la vie que nous aurions pu avoir ensemble, mais ce sera ma vie et je la vivrai en pensant à vous et à notre enfant. Si un jour, dans de nombreuses années, l’enfant souhaite me connaître, s’il découvre la vérité ou si vous choisissez de la lui révéler, dites-lui de me chercher à Buenos Aires.
Je laisserai des traces de mon passage, un chemin qu’il pourra suivre s’il le souhaite. Prenez soin de vous, mon amour. Prenez soin de notre fils et n’oubliez jamais que pendant quelques mois bénis, nous avons défié le monde entier pour être ensemble. Cela personne ne peut nous le prendre. Éternellement vôtre. J’ai Isabelle lut et relut la lettre jusqu’à ce que les mots se brouillent à travers ses larmes.
Puis elle la plia soigneusement et la cacha dans un compartiment secret de son bureau, un endroit où elle pourrait la retrouver lorsque le poids de son absence deviendrait insupportable. Les années passèrent. Alexandre grandit, devenant un enfant vif et intelligent, qui posait constamment des questions sur tout ce qui l’entourait.
Isabelle l’éduqua elle-même, lui enseignant non seulement les matières académiques traditionnelles, mais aussi la gestion du domaine, la viticulture et surtout les idéaux d’égalité et de justice qu’elle avait appris à chérir à travers ses conversations avec Gabriel. Elle lui parla souvent d’un homme courageux qu’elle avait connu, un homme qui venait de loin, qui avait surmonté de grandes épreuves et qui croyait que tous les hommes, quel que soi leur origine, méritait respect et dignité. Elle ne révéla jamais la vérité
complète, mais elle planta les graines d’une compréhension qu’Alexandre pourrait un jour développer par lui-même. Le domaine prospéra sous la gestion d’Isabelle. Elle modernisa les techniques de vinification, introduisit de nouveaux sépages et établit des relations commerciales avec des marchand dans toute l’Europe.
Le nom de Valmont devint synonyme de qualité et d’innovation dans la région viticole de Provence. Armand fit quelques tentatives sporadiques au fil des années pour contester l’héritage d’Alexandre. Mais sans preuve et face à la gestion exemplaire d’Isabelle, ses efforts échouèrent systématiquement. Finalement, il mourut en 1845, ruiné par le jeu et l’alcool, sans avoir jamais réussi à s’emparer du domaine qu’il convoitait tant.
En 1850, alors qu’Alexandre atteignait l’âge de 19 ans, un événement extraordinaire se produisit. Un homme arriva au château de Valmont demandant à voir madame de Valemmont. Il se présenta comme Louis Fernandez, un marchand de café argentin cherchant à établir des relations commerciales avec les vignobles français.
Mais Isabelle, maintenant âgé de 47 ans avec des fils d’argent dans ses cheveux autrefois châtins, reconnut immédiatement quelque chose de familier dans ses yeux. Ce n’était pas Gabriel. Cet homme était trop jeune, peut-être ans, mais il y avait quelque chose dans son regard, dans la façon dont il se tenait. “Monsieur Fernandez !” dit-elle calmement, bien que son cœur bâtit violemment.
“Que puis-je faire pour vous ?” Le jeune homme hésita puis dit doucement : “En vérité, madame, je ne suis pas venu pour des affaires commerciales. Je suis venu délivrer un message de la part de mon père adoptif, Gabriel Morau. Il m’a sauvé d’une vie misérable dans les bidonvilles de Buenos Aires il y a 15 ans, m’a élevé comme son propre fils et m’a enseigné tout ce que je sais. Avant de mourir il y a 6 mois, il m’a demandé de venir ici et de vous remettre ceci.
” Il tendit à Isabelle un paquet soigneusement enveloppé. Avec des mains tremblantes, elle l’ouvrit. À l’intérieur se trouvait une lettre et une petite bourse contenant des graines de café. La lettre était écrite de la même écriture familière, mais plus tremblante, affaiblie par l’âge ou la maladie.
Ma chère Isabelle, si vous lisez ces mots, c’est que je suis parti vers mon repos final. Je ne regrette rien de ma vie car elle m’a donné deux cadeaux inestimables. Votre amour même brièvement et la connaissance qu’un enfant issu de nous deux existe quelque part dans ce monde. J’ai vécu une bonne vie en Argentine. J’ai établi une petite exploitation de café dans les montagnes comme nous en avions rêvé.
J’ai adopté Louis, un jeune orphelin qui me rappelait moi-même à cet âge et je lui ai donné tout l’amour et l’éducation que je n’ai jamais reçu. À travers lui, j’ai pu être le père que je n’ai jamais pu être pour notre enfant, mais pas un jour ne s’est écoulé sans que je pense à vous et à notre fils.
Car j’ai toujours espéré que c’était un fils, un garçon qui hériterait de votre intelligence et de votre force. Les graines que j’envoie proviennent de ma plantation. Plantez-les quelque part dans votre domaine si vous le voulez. Laissez-les grandir à côté de vos vignes. Ce sera ma façon d’être présent, même absent, dans la vie de notre enfant et dans la vôtre.
Et si jamais notre fils souhaite savoir d’où il vient vraiment, Louis pourra lui raconter l’histoire d’un homme qui a aimé sa mère plus que la vie elle-même et qui a quitté tout ce qu’il aimait pour les protéger tous les deux. Je meurs en paix, sachant que j’ai aimé et été aimé. C’est plus que beaucoup d’hommes ne peuvent dire adieu, mon amour éternel.
Nous nous retrouverons peut-être dans un monde meilleur où les barrières qui nous ont séparées n’existeront plus. Votre Gabriel ? Isabelle lut la lettre des larmes coulant librement sur son visage. Après toutes ces années, après avoir enfoui son chagrin si profondément qu’elle pensait l’avoir maîtrisé, il refisait surface avec toute sa force originelle.
C’est à ce moment qu’Alexandre entra dans le salon. Il avait grandi pour devenir un jeune homme magnifique avec les yeux noirs de son père et l’intelligence aigue de sa mère. Voyant Louis et le bouleversement de sa mère, il s’approcha rapidement. “Mère, se passe-t-il ?” demanda-tétude. Isabelle regarda son fils, puis Louis, puis la lettre dans ses mains.
Elle pr une décision qu’elle avait remise pendant près de 20 ans. “Alexandre dit-elle doucement. Il est temps que je te parle de ton vrai père, de Gabriel Morau, l’homme le plus remarquable que j’ai jamais connu et l’homme que j’ai aimé plus que la vie elle-même. Et là, dans le salon du château de Valmont avec Louis comme témoin, Isabelle raconta finalement toute l’histoire.
Elle parla de l’arrangement initial, des nuits dans la bibliothèque, des conversations qui avaient transformé une transaction en amour véritable. Elle parla de la noblesse de Gabriel, de son sacrifice, de tout ce qu’il avait abandonné pour les protéger. Alexandre l’écouta en silence, son visage passant par une série d’émotions complexes, choc, confusion, puis finalement une compréhension profonde.
Lorsqu’Isabelle eut terminé, il resta silencieux pendant un long moment. Pendant toutes ces années, dit-il, finalement, j’ai senti qu’il y avait quelque chose que vous ne me disiez pas, quelque chose d’important. Maintenant, je comprends pourquoi vous m’avez toujours enseigné que la valeur d’un homme ne se mesure pas à sa naissance, mais à ses actions. Pourquoi vous m’avez parlé d’égalité et de justice avec tant de passion ? Il se tourna vers Luis. Parlez-moi de lui, de mon père, de Gabriel Morau. Luis sourit.
et commença à raconter des histoires de l’homme qu’il avait sauvé et élevé. Il parla de sa gentillesse, de sa sagesse, de son amour pour les livres et pour la nature. Il parla de la façon dont Gabriel regardait les montagnes au coucher du soleil avec une expression de profonde nostalgie comme s’il pensait à quelque chose ou quelqu’un très loin.
Il parlait souvent d’une femme qu’il avait aimé en France, dit Louis. Il ne mentionnait jamais son nom, mais je savais qu’elle occupait toujours son cœur. Et il parlait d’un enfant qu’il n’avait jamais connu, mais qui était son plus grand regret et son plus grand espoir. Alexandre passa plusieurs jours avec Louis apprenant tout ce qu’il pouvait sur Gabriel.
Puis lorsque Luis dut repartir pour l’Argentine, Alexandre prit une décision qui surprit sa mère. “Je veux aller là-bas”, dit-il. En Argentine, je veux voir l’endroit où mon père a vécu, voir ce qu’il a construit et je veux rapporter ici quelque chose de lui pour l’intégrer dans notre domaine comme il l’avait imaginé avec ses graines de café.
Isabelle hésita, effrayé à l’idée de perdre son fils, mais elle comprit que c’était quelque chose qu’il devait faire. Elle lui donna sa bénédiction ainsi qu’une partie substantielle de la fortune du domaine pour financer son voyage. Alexandre passa un an en Argentine visitant la plantation de café que Gabriel avait établi, parlant avec les gens qu’il avait connu, apprenant les techniques qu’il avait développé.
Lorsqu’il revint en France, il ramena avec lui non seulement des souvenirs et des histoires, mais aussi des plans de café et une vision nouvelle pour le domaine de Valemont. Avec la permission et l’encouragement de sa mère, il consacra une partie des terres du domaine à la culture expérimentale du café dans des seres spécialement conçu. C’était un projet audacieux et inhabituel pour la Provence, mais Alexandre était déterminé à honorer l’héritage de son père en mélangeant les deux passions familiales, les vignes d’Isabelle et le café de Gabriel. En52,
Alexandre épousa une jeune femme remarquable nommée Céline, fille d’un libraire de Marseille qui partageait ses idéaux progressistes sur l’égalité et la justice sociale. Ensemble, ils transformèrent le château de Valmont en un lieu connu non seulement pour ses vins exceptionnels et son café unique, mais aussi pour son engagement envers des pratiques de travail équitable et progressistes.
Isabelle vécut pour voir naître ses petits enfants, trois beaux enfants qui portaient en eux le mélange de tant d’héritages différents. Elle leur raconta l’histoire de leur grand-père Gabriel, s’assurant que son souvenir et ses idéaux ne seraient jamais oubliés. Le soir de son 70e anniversaire en 1873, Isabelle se tenait dans la bibliothèque où tout avait commencé 43 ans auparavant.
Alexandre était à ses côtés lui-même maintenant un homme de ans avec ses propres fils et filles. “Avez-vous des regrets, mère ?” lui demanda-t-il doucement. Isabelle réfléchit longuement avant de répondre. Elle pensa à Gabriel, à l’amour qu’ils avaient partagé, au prix qu’ils avaient payé pour cet amour. Elle pensa aux années de solitude, aux nuits où elle avait pleuré son absence.
Mais elle pensa aussi à Alexandre, à la vie qu’il avait construite, au changement qu’il avait apporté au domaine et à la région. Des regrets, répéta-t-elle. Oui, j’en ai un. Je regrette que ton père et moi n’ayons jamais pu vivre notre amour ouvertement dans un monde qui l’aurait accepté.
Mais si je pouvais revenir en arrière, sachant tout ce qui allait se passer, je referais exactement les mêmes choix. Car ces choix m’ont donné toi, mon fils bien-aimé, et à travers toi, l’amour de Gabriel et le mien continuent à vivre et à transformer le monde, même modestement. Alexandre embrassa sa mère sur le front. Son héritage vit en moi et vivra dans mes enfants. Vous avez tenu votre promesse, mère.
Vous m’avez élevé avec amour et respect comme un véritable Valmon. Et maintenant, je m’assure que ces idéaux d’égalité et de justice continuent à guider cette famille. Cette nuit-là, Isabelle relut pour la dernière fois la lettre finale de Gabriel. Puis, avec une sérénité qu’elle n’avait pas ressenti depuis des décennies, elle l’arrangea dans le compartiment secret de son bureau, sachant qu’un jour peut-être un de ses descendants la découvrirait et comprendrait l’extraordinaire histoire d’amour qui avait façonné leur famille. Elle sortit dans le jardin où les vignes
s’étendaient sous la lumière de la lune et où dans une serre proche, les plans de café de Gabriel poussai vigoureusement. Elle ferma les yeux et imagina qu’il était là avec elle, que rien ne les séparait plus. “Nous l’avons fait, mon amour”, murmura-t-elle dans la nuit provençale.
“Notre fils est devenu un homme remarquable. Notre amour n’a pas été vain. Il a changé le monde, ne serait-ce qu’un petit peu. Et peut-être quelque part dans un monde meilleur, nous pourrons enfin être ensemble sans barrière, sans peur, sans honte. Une brise douce souffla à travers les vignobles, portant avec elle le parfum de la lavande et du café en fleurs.
Et Isabelle sourit, sentant l’espace d’un instant la présence de Gabriel à ses côtés une dernière fois. M.