« Les ambitions présidentielles sont un éléphant dans la pièce » : Lecornu révèle les vraies raisons du chaos, entre réforme des retraites et fiscalité des plus riches

« Rouvrir le débat sur les retraites » : Sébastien Lecornu dévoile le prix fort d’une stabilité politique retrouvée en 48 heures

 

« Rouvrir le débat sur les retraites » : Sébastien Lecornu dévoile le prix fort d’une stabilité politique retrouvée en 48 heures

 

L’air grave, la parole mesurée mais libre, Sébastien Lecornu s’est présenté devant les Français, non pas en triomphateur d’une rupture annoncée, mais en Premier ministre démissionnaire, contraint de mener une mission « flash » de 48 heures. Son entretien télévisé, quelques heures après avoir remis ses conclusions au Président de la République, a agi comme une autopsie politique de la crise la plus vertigineuse qu’ait connue le pays depuis des décennies. Au-delà du récit des 72 heures de chaos, il a surtout dessiné la feuille de route d’un compromis douloureux, dont le prix pourrait se chiffrer en milliards d’euros et l’enjeu est la survie institutionnelle.


L’anatomie d’un échec : l’ombre de 2027 et la fausse rupture

 

Le spectacle politique des derniers jours a laissé les Français « déboussolés, parfois affligés, parfois dégoûtés », concède l’ancien chef du gouvernement. Nommé pour incarner une « grande rupture sur le fond et sur la forme », Lecornu a vu son gouvernement, fraichement désigné le dimanche, démissionner dès le lundi. La rupture tant promise n’a jamais eu lieu, se résumant à l’arrivée de quelques figures et au maintien des mêmes visages. Un constat d’échec amer qu’il attribue en partie à la raideur des partis et à la pression des bases militantes qui poussent aux « lignes les plus dures ».

Mais l’erreur la plus critique, et son « regret » personnel, porte sur l’omniprésence de l’éléphant dans la pièce : l’élection présidentielle de 2027. Avec une lucidité rare pour un homme en exercice, il a plaidé pour que la future équipe gouvernementale soit « complètement déconnectée des ambitions présidentielles pour 2027 ». Selon lui, la situation est déjà suffisamment difficile pour se permettre d’avoir une équipe dont l’énergie est absorbée par la préparation d’un avenir personnel plutôt que par la résolution immédiate des problèmes du pays. Cette course aux ambitions, ressentie dans la composition du gouvernement, a entravé la clarté et l’originalité nécessaires pour sortir de l’impasse.


La voie étroite du compromis : un Premier ministre dans les 48 heures

 

La mission de Sébastien Lecornu était d’établir si une nouvelle majorité était envisageable, ou si le pays se dirigeait vers un nouveau scrutin. Le constat est sans appel et constitue l’information centrale de cette interview : la perspective d’une nouvelle dissolution s’éloigne. Il révèle qu’une majorité absolue à l’Assemblée nationale refuse ce scénario. Cette réticence n’est pas uniquement due à la « peur de retourner aux urnes », mais à une analyse pragmatique : une nouvelle dissolution mènerait « au même résultat et à une fuite en avant vers un blocage qui pourrait être davantage définitif ». Les responsables politiques, conscients des divisions de leurs circonscriptions, redoutent une paralysie totale.

Malgré le morcellement de l’Assemblée, l’ancien Premier ministre démissionnaire se montre étonnamment optimiste sur la capacité du Président à nommer un successeur. Il a indiqué au chef de l’État que les consultations qu’il a menées permettent d’envisager la nomination d’un nouveau chef du gouvernement dans les 48 prochaines heures.

La clé de cette stabilité réside dans l’existence d’une « plateforme de stabilité », forte de plus de 210 députés. Ces forces politiques, issues de plusieurs formations, sont prêtes à s’accorder sur un socle commun : l’adoption d’un budget pour la France et la sécurité sociale d’ici la fin de l’année. Ce consensus pourrait contourner la nécessité d’une coalition « à l’allemande » – jugée impossible en quelques semaines – et s’appuyer sur la volonté de faire un « bout de chemin » ensemble pour l’intérêt supérieur du pays. Une solution possible, évoquée par Lecornu, pourrait être la nomination d’un Premier ministre technique, non politique, capable de désamorcer les querelles partisanes et de se concentrer sur l’agenda.


Le dilemme des retraites : une « blessure démocratique » à 3 milliards

 

L’éléphant dans le salon est bien la réforme des retraites. C’est, de fait, « un des dossiers les plus bloquants » des négociations. L’ancien Premier ministre démissionnaire n’a pas éludé la question du 49.3 utilisé par sa prédécesseure. Il reconnaît qu’une « blessure démocratique » s’est installée dans le pays, où les Français ont le sentiment que le débat ne s’est pas déroulé « normalement ». Même si l’engagement de la responsabilité du gouvernement est constitutionnel, ce sentiment populaire ne peut être ignoré.

Face à ce blocage, Lecornu a livré l’ultime concession pour le déblocage politique : « il faudra trouver un chemin pour que le débat ait lieu sur la réforme des retraites ». Loin d’appeler à une suspension immédiate, il insiste sur la nécessité de rouvrir la discussion au Parlement. Cette démarche, cependant, a un coût très précis qu’il a tenu à chiffrer : suspendre la réforme, même temporairement, coûterait pas moins de 3 milliards d’euros en rendement d’ici 2027. Un montant « considérable » qui pèse sur la « signature de la France » et sa capacité à emprunter sur les marchés. Le futur gouvernement devra donc marcher sur une corde raide entre l’impératif démocratique du débat et la rigueur budgétaire.

Afin de faciliter ce chemin vers la discussion, Lecornu a rappelé son propre engagement, pris avant sa démission, de ne pas utiliser le 49.3 sur le budget, assurant ainsi aux parlementaires qu’ils pourront « jouer leur rôle jusqu’au bout » et ne pas se voir imposer un texte.


L’urgence budgétaire et le totem fiscal

 

Le temps presse. L’urgence absolue est de doter la France d’un budget pour l’État et la sécurité sociale d’ici le 31 décembre. Toutes les forces politiques responsables (hors LFI et RN, qui ne sont pas venues le consulter) s’accordent sur ce point, car ne pas avoir de budget aurait des conséquences « absolument dramatiques ».

Un projet de budget, « pas parfait » mais basé sur un déficit à 4,7 % du PIB (un retour à la ligne de l’ancienne majorité après avoir évoqué un scénario à 5 % ce matin-là), sera déposé. Lecornu a mis en garde les parlementaires contre la tentation de « censurer préalablement » le gouvernement quel qu’il soit, les appelant à faire leur « boulot » de député : amender, discuter, voter ou rejeter.

Concernant la fiscalité, le Premier ministre démissionnaire a défendu le « totem » de l’absence de nouvelle hausse d’impôt pour les Français, tout en reconnaissant que la question de la justice fiscale et de l’optimisation des plus riches (les 0,01 %) est légitime. S’il a toujours refusé de toucher aux outils professionnels qui impactent l’emploi et la croissance, il avait néanmoins imaginé une proposition concrète pour un « choc de confiance » : une baisse de l’impôt de production (CVAE) pour soutenir les PME.


L’Institution présidentielle face aux têtes d’affiche

 

Enfin, l’interview a abordé le débat lancé par Édouard Philippe, son ami, qui a suggéré qu’Emmanuel Macron devrait anticiper son départ après le vote du budget pour sortir de la crise. Sur ce point, Lecornu s’est montré catégorique. Il a rappelé le respect du mandat démocratique : « Si on commence dès qu’il y a un peu de tempête à dire : ‘Ah bah il faut s’en aller’, je pense que si c’est vrai pour le président d’aujourd’hui, ça pèsera sur les futurs présidents. »

Mais c’est en tant que ministre des Armées qu’il a prononcé l’argument le plus fort en faveur de la stabilité : « Ce n’est pas le moment de changer de Président de la République ». Face aux tensions internationales, le visage de la France à l’étranger, l’institution présidentielle elle-même, doit être protégée et préservée. L’instabilité gouvernementale, bien que réelle, ne doit pas déteindre sur la fonction suprême, seule garante de la continuité de la parole de la France sur la scène mondiale. Les ambitions présidentielles de ses anciens collègues, comme Gabriel Attal ou Édouard Philippe, sont jugées légitimes mais ne doivent pas mettre en péril l’Institution.

En conclusion, Sébastien Lecornu a livré un message d’une clarté douloureuse : le pays ne sortira de l’ornière que par la voie étroite du compromis, matérialisée par l’adoption rapide d’un budget et la reconnaissance de la « blessure » des retraites. Le prix de cette stabilité est désormais connu, et la balle est dans le camp du chef de l’État pour nommer, dans les 48 heures, l’homme ou la femme capable de mener cette mission.

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