Avant même que l’aube ne se lève sur Oslo, la forteresse d’Akershus se dresse dans un silence quasi absolu. Ces murs de pierre, façonnés par des siècles de guerre et de règnes, retiennent prisonnier un homme qui prétendait jadis protéger la nation qui l’a trahi. Vidkun Quisling patiente dans une cellule étroite, écoutant le vent froid souffler dans la cour où, dans quelques heures, les fusils seront pointés sur lui. Le monde extérieur dort encore, ignorant que l’un des noms les plus tristement célèbres de l’histoire norvégienne vit les derniers instants de sa vie. Dans la pénombre, Quisling, le dos droit, est calme, presque impassible. Il n’a pas l’air d’un homme qui s’attend à la mort. Au contraire, il affiche l’étrange certitude de quelqu’un persuadé d’avoir été lésé. Il murmure pour lui-même que l’histoire le réhabilitera, reprenant une conviction qu’il l’avait jadis poussé à affirmer qu’il serait honoré comme un héros national dans les dix ans qui suivaient. C’est un paradoxe qui plane, pesant, un dirigeant dont le nom est devenu synonyme de trahison et qui pourtant insiste sur le fait qu’il a servi une cause supérieure. Un garde s’arrête devant la porte de la cellule, observant la silhouette immobile à l’intérieur. Pas de tremblement, pas de cri final, pas d’imploration. Seul le souffle régulier de Quisling manifeste son mouvement, comme s’il se préparait à une dispute plutôt qu’à une exécution. Il semble plus préoccupé par l’image qu’on se fera de lui que par le sort qui l’attend à l’aube.

En ces dernières heures, une question plane sur les ténèbres de la forteresse. Comment un homme condamné par son propre pays peut-il s’accrocher si fermement à la conviction d’avoir eu raison ? La réponse ne commence pas avec les coups de feu qui ne tarderont pas à résonner dans la cour. Elle commence la nuit précédente. Alors que le soir tombe sur Oslo le 23 octobre 1945, Vidkun Quisling est assis seul dans sa cellule de la forteresse d’Akershus. Le bruit de la ville est lointain, atténué par les murs de pierre qui ont abrité des siècles de prisonniers. Quelques semaines auparavant, la haute cour avait rendu son verdict : coupable de haute trahison, de meurtre et de détournement de fonds. La sentence était sans appel. Pourtant, Quisling reste imperturbable comme si le poids du procès ne l’avait pas encore atteint. Il ne se comporte pas comme un condamné, mais comme quelqu’un persuadé que les juges ont mal interprété l’histoire. Tout au long de la soirée, il repasse en revue les arguments qu’il a présentés lors de son procès, d’où à septembre. Il parle parfois à voix haute, répétant les phrases qu’il avait jadis prononcées devant le tribunal. Il répète que sa collaboration avec l’Allemagne nazie n’était pas une trahison, mais une défense stratégique contre la menace bolchevique. Il insiste sur le fait qu’il a agi pour protéger la Norvège, que ses décisions ont épargné au pays un contrôle allemand plus sévère. Ces affirmations, rejetées par les juges et largement condamnées par l’opinion publique, continuent d’orienter sa réflexion.
Son avocat Henrik Berg vient le rencontrer une dernière fois. Berg trouve Quisling calme, peut-être même trop, parlant avec une assurance qui paraît étrangement déplacée. Il n’y a pas d’aveu de culpabilité, pas un instant de regret. Au contraire, Quisling répète une prédiction antérieure que d’ici dix ans, les Norvégiens le comprendront, voire l’honoreront. Berg écoute, conscient que toute chance de clémence est depuis longtemps passée. À l’extérieur de la cellule, les officiels se déplacent discrètement. L’ordre d’exécution a été confirmé mais son heure reste cachée à Quisling. À l’approche de minuit, le silence se fait dans la forteresse. La procédure légale est terminée.
Pourtant, l’homme au cœur de tout cela continue de croire qu’il sera innocenté. Alors que la nuit s’épaissit autour de la forteresse d’Akershus, le destin tragique de Quisling se dessine. Le gouvernement norvégien a opté pour le secret autour de l’ordre d’exécution, craignant que sa divulgation n’attire les foules ou ne provoque des troubles. Seule une poignée de fonctionnaires savent quand la sentence sera exécutée. Quisling, lui, l’ignore. Il sent la fin approcher, mais le moment précis lui est caché, rendant chaque minute qui passe d’autant plus pesante. Plus tôt dans la soirée, il avait demandé à voir sa femme, Maria, une dernière fois. Sa requête fut refusée. Maria avait déjà lancé un ultime appel à la clémence auprès du roi Haakon VII, mais il avait été rejeté sans hésitation. La guerre, ses traumatismes et les souffrances infligées sous le règne de Quisling n’avaient laissé aucune place à la miséricorde. À présent, dans la forteresse où il avait jadis exercé le pouvoir en tant que ministre fantoche, il ne lui restait que ses pensées.
Seul dans sa cellule, il rédige des notes, relisant ce qui, il en est convaincu, justifiera un jour ses actes. Il répète, comme il l’a fait à maintes reprises, qu’il n’a enrichi personne et qu’il a agi uniquement pour la préservation de la Norvège. Pourtant, les dossiers judiciaires et les preuves présentées lors de son procès contredisent ses affirmations. Malgré tout, il écrit avec assurance, certain d’avoir été mal compris. Les gardiens qui l’observent remarquent son calme inhabituel. Aucune peur visible, aucun effondrement, aucun des signes qu’ils ont pu observer chez d’autres condamnés. Au contraire, Quisling affiche un détachement presque palpable comme s’il contemplait la fin d’une vie.
À l’approche de minuit, la tension monte. Quisling commence à comprendre que sa vie et sa version de l’histoire convergent vers un même point. Les heures à venir décideront de ce qui restera. Peu après minuit, le pasteur Peder Holsen est conduit dans les couloirs silencieux de la forteresse d’Akershus. Sa mission, simple en apparence et lourde de sens : apporter un soutien spirituel à un homme à quelques heures de son exécution. Holsen écrira plus tard que l’atmosphère de la cellule était unique. Quisling ne l’accueillit ni avec crainte ni avec humilité. Au contraire, il le reçut avec la confiance sereine de quelqu’un se préparant à un débat plutôt qu’à la mort. Leur conversation débute par des questions familières de foi, de péchés et de rédemption. Mais au lieu de chercher du réconfort ou le pardon, Quisling remet en cause les fondements mêmes de l’éthique chrétienne. Il soutient que ses choix durant la guerre n’étaient pas des actes de trahison, mais des décisions prises pour le bien commun. Il insiste sur le fait qu’en s’alliant à l’Allemagne, il a protégé la Norvège de la menace bolchevique. À ses yeux, les souffrances endurées sous son gouvernement étaient le prix inévitable de la résistance face à un danger plus grand. Holsen écoute, troublé par la conviction inébranlable qui se dégage de la voix de Quisling. Tous deux sont issus de familles ayant des liens étroits avec le clergé. Pourtant, leur conception de la morale est diamétralement opposée. Holsen perçoit quelque chose d’inquiétant, un mélange de charisme et de détachement qui rend difficile de réfuter totalement la certitude de Quisling, même en connaissant les ravages causés par son règne. Durant le procès, les psychiatres avaient relevé chez lui des traits suggérant une perception altérée de la réalité. Pourtant, ici dans le silence de la forteresse, Quisling parle clairement, logiquement et sans hésitation. Il semble pleinement conscient de sa situation mais insensible à son poids moral. Alors que les heures s’écoulent vers l’aube, Holsen repart avec une question persistante. La foi inébranlable de Quisling est-elle le fruit d’une illusion, d’un instinct de survie ou une ultime tentative de contrôler la façon dont l’histoire se souviendra de lui ?
Peu avant l’aube, des pas résonnent dans les couloirs de pierre de la forteresse d’Akershus. Les gardes arrivent à la cellule de Quisling sans cérémonie, ouvrant la porte pour signaler que l’heure est venue. Il se lève silencieusement, se redressant comme s’il se préparait à un rendez-vous officiel plutôt qu’à une exécution. L’air froid l’enveloppe lorsqu’il pénètre dans le couloir, avançant entre les gardes d’un pas assuré et déterminé. Dehors, la cour est plongée dans l’obscurité. Cette forteresse, jadis siège de rois médiévaux et symbole de la défense nationale, devient le théâtre de l’acte final du plus tristement célèbre collaborateur de la Norvège. Le givre recouvre le sol. L’air est immobile. Un peloton d’exécution norvégien de douze hommes est prêt. Sa présence rappelant brutalement les mesures exceptionnelles de temps de guerre rétablies spécifiquement pour les crimes de trahison. Quisling se tient devant eux, une lanterne vacillante projetant une lumière inégale sur son visage. Son expression ne trahit aucune panique, seulement la même certitude inébranlable qui l’a accompagné toute la nuit. Tandis que l’officier prononce les dernières instructions, Quisling lève la tête et déclare distinctement dans l’air froid : « Je suis condamné injustement, je meurs innocent. » La sentence reste en suspens un instant entre défi et résignation. Les ordres fusent, les fusils se lèvent, la cour respire.
À 2 h 40 précises, les coups de feu retentissent, secs et définitifs contre les murs de la forteresse. Les échos s’estompent dans le silence de l’aube, marquant la fin de la vie de Vidkun Quisling et l’effondrement du récit qu’il s’était battu pour préserver. En cet instant, la tension accumulée au fil de mois de procédures judiciaires et d’années d’occupation trouve son aboutissement. Sa revendication de martyr se heurte au jugement de l’État et l’histoire poursuit son cours sans lui. Dans les heures qui suivent l’exécution, la forteresse d’Akershus retrouve son calme habituel. La cour est nettoyée, les fusils emportés et les traces des événements de la nuit s’estompent dans l’air froid du matin. Le corps de Quisling est transporté rapidement et sans cérémonie. Peu après, il est incinéré au crématorium Ouest d’Oslo. La crémation se déroulant discrètement pour éviter d’attirer l’attention. Ses cendres sont scellées et conservées dans un lieu tenu secret jusqu’à leur transfert des années plus tard, en 1959, dans le caveau familial à Gjerpen. Même après sa mort, sa présence demeure pesante, abordée avec prudence par une nation encore sous le choc.

À 9 h du matin, plusieurs heures après que les salves aient retenti dans la forteresse, Maria Quisling reçoit la notification officielle. À ce moment-là, les journaux de toute l’Europe ont déjà annoncé l’exécution, la présentant comme le châtiment final d’un homme dont le gouvernement avait contribué à envoyer près d’un millier de Juifs norvégiens à la mort. Pour les familles qui ont souffert sous l’occupation, l’annonce apporte un sentiment de conclusion, mais non d’apaisement. La douleur persiste dans les mémoires et le poids de la perte ne peut être effacé par un seul événement. La mort de Quisling devient également un symbole fort. Elle marque la fin imminente de la purge judiciaire en Norvège, un processus fondé non sur la vengeance, mais sur le rétablissement de la responsabilité après cinq années d’occupation. Si les débats persistent quant aux complexités juridiques du rétablissement de la peine capitale, pour de nombreux Norvégiens, cette exécution représente l’affirmation finale que justice a été rendue. Alors que le récit s’apaise, une question demeure. Quisling a quitté le monde convaincu d’avoir agi pour le salut de la Norvège, persuadé que l’histoire finirait par le défendre. Mais le récit de ses actes et des vies qu’ils ont bouleversées raconte une toute autre et sombre histoire. La tension entre sa conviction et la réalité qu’il a créée persiste, rappelant avec force combien croyances et conséquences peuvent diverger.