L’État Contre la Mafia : « Nous avons en face de nous une contre-société, un système », l’Alerte Dramatique du Procureur de Marseille

Le Réveil Brutal de la République Face au Narcotrafic Systémique
La ville de Marseille, laboratoire des urgences sociales et sécuritaires françaises, est à nouveau au centre de toutes les attentions, mais pour les raisons les plus sombres. L’assassinat la semaine dernière du frère d’Amine Kessassi, un crime qualifié de « crime d’avertissement » par les autorités, a remis en lumière la violence inouïe du narcotrafic. Plus qu’un simple fait divers, cet acte de terreur a servi de catalyseur à une alerte d’une gravité exceptionnelle : celle lancée par Nicolas Bessone, Procureur de la République de Marseille. Dans une prise de parole franche, le chef du parquet marseillais, qui dirige également l’activité de la police judiciaire sur son territoire, a posé un diagnostic glaçant. Nous n’avons plus affaire à des réseaux de délinquance, mais à une « contre-société, un système » qui défie la souveraineté de l’État et exige d’être combattu de manière « systémique ».
Cette déclaration, qui résonne comme un aveu de la mutation du crime organisé, replace la lutte contre le narcotrafic au rang de priorité nationale. Avec ses 60 magistrats – dont un quart sont exclusivement dédiés à la lutte contre la drogue – le parquet de Marseille est en première ligne de ce combat existentiel, un combat qui nécessite de changer totalement de paradigme pour s’attaquer aux têtes pensantes, aux flux financiers et à la capacité de nuisance du crime jusque derrière les barreaux.
L’Assassinat d’Avertissement : L’Innocence Sacrifiée
L’affaire la plus récente et la plus emblématique de la nouvelle brutalité du narcotrafic est celle de l’assassinat du frère d’Amine Kessassi. Le procureur Bessone a confirmé l’hypothèse privilégiée par la justice : celle d’un crime d’avertissement. La victime, un jeune homme au parcours irréprochable, était « totalement inconnu des services de police, de justice » et nourrissait même le souhait de « devenir policier. » Son seul lien avec la violence était son frère, très impliqué dans la vie associative pour lutter contre le narcotrafic.
Ce choix macabre de cibler une victime innocente est un message terrifiant destiné à museler toute forme de résistance citoyenne et associative. Le parquet national anti-criminalité organisé (Junalco) de Paris s’est saisi du dossier, soulignant la dimension de grande envergure de l’affaire. Des informations circulant dans la presse désignent un certain « Mamine », réputé être l’un des chefs de la mafia, comme le commanditaire présumé. Mais au-delà de l’identité, l’acte lui-même est une démonstration de puissance : la mafia envoie le signal qu’elle peut frapper n’importe qui, n’importe où, et punir le simple fait de s’opposer à son emprise.
Le Fief Criminel : Un Pouvoir de Nuisance Derrière les Barreaux
L’un des aspects les plus scandaleux du système mis en lumière par Nicolas Bessone est la capacité des chefs du crime organisé à continuer d’opérer, et même de commander des assassinats, depuis leur lieu de détention. Le commanditaire présumé de l’assassinat d’avertissement aurait agi depuis la prison de Bour-en-Bresse. « Des personnes détenues continuaient leur trafic, pouvaient commanditer des assassinats, ce qui est totalement inadmissible et incompréhensible pour notre population tout à fait légitimement, » déplore le procureur.
Face à cette carence systémique, la réponse de l’État est saluée par le parquet marseillais. Le Procureur Bessone a jugé « véritablement remarquable » la création, en un temps record, des Quartiers de Lutte Contre la Criminalité Organisée (QLCCO) par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Ces quartiers de haute sécurité, comme celui de Condé-sur-Sarthe, fonctionnent « remarquablement bien parce que ça les entrave, ça les empêche de communiquer, ça leur limite très fortement leur pouvoir de nuisance. » Le ministre de la Justice a d’ailleurs annoncé la création prochaine de deux établissements similaires à Aix et à Valence. Pour Nicolas Bessone, l’approche systémique du problème exige que la situation carcérale soit considérée comme un levier d’action essentiel pour endiguer le phénomène criminel.
L’Échelle Vertigineuse : Un Marché Noir à 7 Milliards d’Euros
La lutte contre le narcotrafic ne peut être comprise sans saisir son échelle économique et financière. Le chiffre d’affaires global du trafic de stupéfiants en France a atteint des sommets vertigineux. Face aux estimations parfois confuses, le procureur Bessone a apporté une clarification indispensable. Le rapport de l’OFAST (Office Français Anti-Stupéfiants) chiffre le chiffre d’affaires global en France à 6 ou 7 milliards d’euros. Ce montant place le narcotrafic parmi les activités les plus lucratives du pays, un véritable pilier de l’économie souterraine.
Contrairement à certaines rumeurs, cette somme colossale n’est pas uniquement le fait d’une seule organisation, comme la « DZ mafia », qui ne fait d’ailleurs pas que du trafic de stupéfiants. Il s’agit d’un système complexe impliquant plusieurs organisations criminelles, qui ont su capter et blanchir des flux de capitaux massifs. C’est la dimension financière de cette « contre-société » qui en assure la puissance et la résilience, lui permettant d’infiltrer l’économie légale et de corrompre les institutions.

Le Changement de Paradigme : De l’Événement au Système Criminel
Face à une menace de cette ampleur, la stratégie de l’État ne peut se contenter d’actions ponctuelles. Le procureur Bessone a insisté sur la nécessité d’une approche « systémique » basée sur la complémentarité des actions.
Du Pilonnage à l’Attaque des Têtes Pensantes
Si le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez a pu se féliciter d’avoir divisé par deux le nombre de « points de deal » à Marseille (passant de 160 à environ 80), cette stratégie de « pilonnage » qui vise à occuper le terrain et à fragiliser les réseaux de revente n’est pas suffisante. Elle doit être un complément aux enquêtes judiciaires visant le « haut du spectre. »
L’objectif du parquet de Marseille est désormais de changer totalement de paradigme : travailler non plus sur l’« événement » (un démantèlement de réseau ou un trafic précis), mais sur les organisations dans leur globalité. Grâce à la nouvelle Loi Narcotrafic, les enquêteurs se concentrent sur l’« association de malfaiteurs criminels, » pour mettre hors d’état de nuire la totalité de l’organisation, ce qui inclut :
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Le blanchiment de l’argent.
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La volonté de corrompre.
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Les « équipes feu » (les killers qui commettent les assassinats).
Cette loi, qui prévoit de nouvelles dispositions comme l’utilisation de collaborateurs de justice (repentis) et la création du Parquet National Anti-Criminalité Organisée (PNACO) début janvier, est un pas en avant significatif. Le PNACO aura pour mission de donner la doctrine et de récupérer les dossiers les plus importants. Toutefois, Nicolas Bessone met en garde : il faudra trouver un « équilibre » pour ne pas « assécher la compétence remarquable de la justice marseillaise, » qui est, par la force des choses, le « laboratoire » national de la lutte contre le crime organisé.
L’Ultime Frontière : L’Intégrité Démocratique Face à la Peur
La violence de cette contre-société ne s’arrête pas aux règlements de comptes ; elle vise à paralyser la République par la terreur. Le maire de Marseille, Benoît Payan, a révélé avoir reçu 402 menaces de mort depuis le mois de septembre. Un chiffre qui illustre l’intensité de la pression exercée sur les élus.
De même, le phénomène d’intimidation s’étend à la sphère médiatique. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont eux-mêmes constaté que certains journalistes spécialisés s’abstenaient de couvrir leurs déplacements, signe d’une peur qui s’installe. La crainte de voir la sphère politique être infiltrée par le narcotrafic est une préoccupation constante du parquet.
Face à ces menaces, la position du Procureur Bessone est une affirmation de résilience républicaine. Il a tenu à rassurer et à galvaniser : « Mon parquet, les juges d’instruction, on est au travail. » Il insiste : « Il ne faut pas parce que sinon ça serait leur donner raison, que les journalistes se taisent, que les politiques ne fassent pas leur travail et les magistrats. »
En assurant que la justice n’a « pas peur » et qu’elle est payée pour lutter contre ce phénomène, Nicolas Bessone rappelle que l’ultime enjeu de cette guerre systémique est l’intégrité de la démocratie. Le combat de Marseille est celui de la nation entière : l’État doit mobiliser tous ses leviers – de la prison de haute sécurité au PNACO, du pilonnage aux enquêtes financières – pour démanteler le système criminel et garantir que la loi de la République prévale sur la loi de la mafia.