Il avait jadis régné sur une nation entière par la terreur. Mais le matin du 22 mai 1946, Carl Herman Franck tremblait devant un échafaud de bois dans la cour de la prison de pancrac. À l’extérieur des murs, des milliers de personnes se pressaient, attendant, non pas en silence, mais dans une sorte d’appréhension altante.

Parmi elles se trouvaient les veuves de l’idis, des femmes qui avaient enterré des tombes vides, leur mari et leurs fils n’ayant jamais eu de vie. Et maintenant, elles étaient venues assister à l’exécution du responsable. Le paradoxe était impossible à ignorer. Un homme qui régnait sur la bohème et la moravie d’une autorité absolue qui signait des ordres de mort d’un simple trait de plumes se retrouvait désormais impuissant, pendu sous une simple corde.
Pendant des années, on murmurait son nom avec crainte. Ce jour-là, on le murmurait avec espoir. Alors que la capuche lui tombait sur la tête, la voix de Franck déchira l’air une dernière fois. L’Allemagne vivra”, hurla-t-il comme s’il s’accrochait encore à l’idéologie qui avait mené tout un continent à la ruine.
La foule ne répondit pas. Elle avait trop attendu, trop souffert pour lui offrir autre chose que le silence. Quelques instants plus tard, la trappe s’ouvrit et avec elle, le dernier chapitre de l’histoire de l’homme qui avait supervisé des massacres, des campagnes de terreur et la destruction de villages entiers. Mais la question était plus lourde que la corde.
Comment un modeste libraire des sud-ettes a-t-il pu devenir l’un des administrateurs nazis les plus redoutés d’Europe ? Pourtant, le chemin qui a mené à cet échafaudage a commencé des décennies plus tôt, bien avant l’incendie de l’idis. Il n’était ni un monstre ni un génie du mal. Carl Herman Frank vit le jour en 1898 dans la paisible ville thermale de Carlsbad au sein d’une famille profondément nationaliste allemande mais éloignée du pouvoir.
Enfin, il rêvait de gloire militaire mais même cette voix lui fut refusée. Une cécité partielle lui coûta sa place dans l’armée austro-hongroise pendant la Première Guerre mondiale. Il entreprit alors de brèves études de droit à Prague. quête de sens dans un pays qui selon lui n’appartenait pas à des gens comme lui.
Cet objectif se concrétisa par une idéologie extrémiste. Dans le climat de division de la Bohème d’après-guerre, Franck trouva refuge au sein du Parti national socialiste des travailleurs allemands. Encore jeune, sans prétention et inconnu, sans ell le rendit néanmoins utile. Il parcourut les villes, créant des cellules nazis et s’imprégnant du discours sur la pureté raciale et la renaissance nationale.
En 1925, il ouvrit une librairie. Officiellement, c’était un commerce. En réalité, c’était un centre de propagande, des étagères remplies d’écrit, de brochures et de discours d’Hitler. étudiant, ancien combattants et ouvriers frustrés franchissaient les portes et en ressortaient avec des idées bien plus percutantes que les livres qu’il transportait.
Son influence grandit rapidement lors de la création du parti allemand des Sudettes au milieu des années 1930, Frank devint l’un de ses dirigeants les plus ambitieux. Il obtint un siège au Parlement tchécoslovaque usant de ses privilèges démocratiques pour saper l’État qui l’accueillait. Et lorsque les accords de Munich détachèrent de les sudettes de la Tchécoslovaquie, Franck s’empressa de rejoindre la SS et de gravir les échelons à une vitesse fulgurante.
Il entra à Prague non en visiteur mais en homme qui considérait le pays comme sien. Lorsque Carl Herman Franck devint secrétaire d’état du protectorat de Bohè Moravi, il acquis bien plus qu’un titre : le pouvoir de contrôler la peur elle-même. En tant que chef supérieur de la SS et de la police, tous les instruments de la répression nazie lui étaient subordonnés.
La guestapo, le shi, la cripa. D’une simple signature, il décidait qui vivait, qui disparaissait et qui ne revenait jamais des caves de la police. Constantine von Neurat, le protecteur du Reich officiel, envisageait une occupation lente et calculée. Frank, lui, souhaitait une action plus brutale. Leur rivalité s’exacerba dans des couloirs où la tension était palpable.
Chaque note de service et chaque ordre creusant un fossé plus profond. En 1941, l’équilibre bascula. Reinard Heidrich, froid, efficace, impitoyable, fut nommé protecteur adjoint du Reich. Frank se rangea aussitôt du côté de celui qui incarnait les aspects les plus sombres de l’idéologie nazie. Ensemble, ils ont transformé le protectorat en une machine de terreur.
Des arrestations massives ont balayé les universités. Des intellectuels étaient emmenés pour interrogatoire et disparaissaient à jamais. La censure omniprésente a réduit les journaux chèqus à néant au point que des pages entières s’évaporaient du jour au lendemain. Les exécutions publiques étaient présentées comme des avertissements tandis que les exécutions privées étaient dissimulées sous un voile de silence bureaucratique ? Après l’arrivée de Heidrich, Frank a décrété l’état d’urgence.

Des unités de police ont mené des raides dans les maisons en pleine nuit. Les réseaux de résistance se sont effondrés sous le poids de la torture. Des communautés entières ont subi les conséquences de politique visant à briser le moral et à anéantir leur identité. Et à mesure que la répression s’intensifiait, un moment de violence, une simple décision allait graver son nom dans l’histoire de façon irréversible.
Les coups de feu qui tuèrent Reinard Heidrich en mai ne se contentèrent pas de mettre fin à la vie de l’un des plus redoutés dignitaires d’Hitler. Ils déclenchèrent l’une des représailles les plus sanglantes de toute la guerre. Quelques heures plus tard, Adolphe Hitler exigeait un châtiment siè brutal qu’il raisonnerait à travers les continents.
Et Carl Herman Frank, déjà maître d’œuvre de la terreur en Bohèm Moravie, fut l’homme qui mit cet ordre à exécution. Frank annonça que l’idis, un paisible village minier sans lien avéré avec les assassins, devait être rayé de la carte. À l’aube du 10 juin 1942, des hommes et des garçons tchèc de plus de quinze ans furent alignés devant les murs de grange et mitraillé par groupe.
1700 balles furent tirés sur des villageois désarmés. La fumée s’élevait au-dessus de leur corps tandis que les officiers de Frank marquèrent le terrain pour les équipes de démolition. Les femmes furent arrachées à leur foyer, déporté à Ravensbruck et réduites en esclavage. La plupart ne revinme jamais. Les enfants, terrorisés, séparés de leur famille et privés de toute information furent emmenés pour être traités.
88 d’entre eux furent assassinés dans des camions à gaz à Chomno. Quelques-uns furent sélectionnés pour la germanisation, adopté sous de nouveaux noms, leur passé effacé. Puis vint l’étape finale. Les maisons de l’idis furent pillées, incendiées et dynamitées. Même le cimetière fut détruit.
Ces ruines furent rasées par des buldoers jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de reconnaissable. Ni rue, ni mur, ni tombe. Les cartes furent redessinées. Le nom Lidis fut banni du discours public. C’était là l’horreur que Franck voulait que le monde voit. Un avertissement gravé dans la terre elle-même. On le ramena dans la ville qu’il avait jadis gouverné par la terreur.
Carl Hermann Franck arriva à Prague sous haute escorte. Non plus le tyran de Bohèm Moravie, mais un prisonnier vêtu d’un uniforme emprunté. Le visage figé par le choc. Il avait été capturé par les forces américaines près de Pilsen alors qu’il tentait de se fondre parmi les Allemands en retraite. En avril 1946, il fut conduit devant le tribunal populaire, une salle d’audience bondée de journalistes, de soldats, de veuves et imprégnés du poids silencieux de 4 années de terreur.
Le processou sur une évidence à laquelle Frank ne pouvait plus échapper. Les témoins se succédèrent, des survivants de l’idis, des femmes ayant enduré Ravensbruck, des familles ayant perdu des fils sous les balles de peloton d’exécution qu’il avait lui-même approuvé. D’une voix posée, il décrivait les décisions prises dans les bureaux où Franck avait jadis circulé avec une confiance absolue.
Il écoutait tantôt figé, tantôt clignant rapidement des yeux comme s’il espérait que les accusations s’évaporent. Zikombre. Quand ce fut son tour, Frank répéta la phrase : “Utilisée par tant de nazis vaincus, je n’ai fait qu’obéir aux ordre.” Mais le tribunal connaissait les documents.
Il possédait les signatures autorisant les exécutions, les ordres qu’il avait transmis, les annonces qu’il avait faites avec une conviction inébranlable. Frank n’avait pas été un instrument passif. Il avait façonné la terreur. Il l’avait exacerbé. Le 22 mai 1946, les juges rendirent leur verdict coupable de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de hautees trahisons.
La sentence fut la mort et tandis que le verdict raisonnait dans la salle d’audience bondée, une vérité devint indéniable. Carl Herman Franck, l’homme qui s’était jadis cru intouchable, marchait désormais vers le châtiment final qu’il avait provoqué pour tant d’autres. Le matin du mai froid et gris s’abattait sur Prague derrière les murs de la prison de Pancrac, Carl Herman Frank fut conduit de sa cellule à la cour où l’attendait l’échafaud.
Il passa devant des gardiens silencieux, devant des fenêtres où personne ne daignait regarder. Devant les portes de la prison, des milliers de personnes s’étaient rassemblées, citoyens, soldats et surtout les veuves de l’idis, serré les unes contre les autres dans une attente silencieuse. Pendant des années, elles avaient vécu avec un chagrin si profond qu’il était indicible.
Aujourd’hui, elles étaient là pour assister à son dénouement. Frank péntra dans la cour, la corde suspendue au-dessus de lui comme un verdict déjà prononcé. Loin de l’homme qui avait jadis inspiré la terreur à toute une nation, il paraissait désormais petit, écrasé par le poids des crimes auxquels il ne pouvait plus échapper.
Il jeta un coup d’œil vers le ciel comme s’il cherchait une issue qui n’existait plus. Lorsque la trappe s’ouvrit, la foule massée à l’extérieur ne manifesta aucune joie. Elle se contenta d’écouter impuissante la fin tragique de l’homme qui avait envoyé des centaines de leurs proches à la mort. Son corps fut emporté en silence et enterré anonymement dans une fausse commune afin qu’aucun admirateur ne puisse un jour transformer sa tombe en sanctuaire.
Mais la signification de ce moment a perduré. L’idis est devenu un symbole reconnu dans le monde entier. Un rappel que la cruauté peut anéantir un village sans effacer sa mémoire. L’exécution de Frank est-elle elle aussi devenue un symbole ? Ce rare moment où la justice, aussi imparfaite soit-elle, a finalement rattrapé un homme qui se croyait à jamais immunisé. M.