La première fois que de nombreux soldats allemands affrontèrent la 5e Division Blindée canadienne, ils ne savaient même pas contre qui ils se battaient. Ils connaissaient les Britanniques, ils respectaient les Américains, ils craignaient les Gourkhas. Mais lorsque des rapports arrivèrent du front italien, décrivant des hommes portant des insignes bordeaux qui refusaient de disparaître, les commandants allemands commencèrent à poser la même question : “Wer sind diese Kanadier ?” (Qui sont ces Canadiens ?)

Pour la plupart des officiers allemands en Italie, l’armée canadienne n’était qu’une réflexion secondaire, une force auxiliaire de l’Empire Britannique, peu nombreuse et peu menaçante. Sur le papier, la Wehrmacht avait affronté l’élite de la 8e Armée britannique, des divisions blindées américaines et des vétérans endurcis d’Afrique. En comparaison, le Canada semblait insignifiant. Cette idée reçue ne survécut pas aux premières confrontations.
Les premiers sous-rapports allemands venus d’Italie décrivirent quelque chose d’inhabituel : une force avançant avec la discipline britannique, attaquant avec l’agressivité américaine, mais évoluant selon un rythme totalement différent : lent, délibéré, puis soudain explosif. Un officier allemand capturé se plaignit un jour : “Ils disparaissent, puis réapparaissent sur nos flancs. Ils ne se précipitent pas, ils traquent.” C’était la première impression que la 5e Division Blindée canadienne, la puissante “Machine Bordeaux” (“Maroon Machine”), gravait dans l’esprit allemand.
La division arriva tard dans la campagne d’Italie, mais elle y entra avec une confiance qui irritait et troublait les Allemands. Elle n’était pas épuisée, mais fraîche, bien approvisionnée et commandée par des officiers ayant tiré les leçons des erreurs commises plus tôt dans la guerre. Mais ce qui choqua le plus l’infanterie allemande fut le caractère des équipages de chars canadiens. Ils étaient décontractés, parfois trop décontractés. Les soldats allemands notèrent dans leurs journaux que les Canadiens souriaient souvent sur les photographies, plaisantaient durant les accalmies du combat et considéraient la guerre comme une tâche désagréable mais gérable, non comme une lutte désespérée pour la survie. Ils étaient amicaux hors du champ de bataille, et terrifiants dessus. Une entrée de journal d’un Panzergrenadier en 1944 disait : “Les Canadiens sont étranges. Ils rient en dehors des combats, ils sont silencieux pendant l’attaque, et ils reviennent toujours.”
Les Allemands s’attendaient à ce que les unités alliées se brisent sous des contre-attaques soutenues, mais la Cinquième Division Blindée canadienne cédait rarement. Leur infanterie tenait ses positions avec obstination, et leurs équipages de char ne semblaient pas craindre le combat rapproché. Les Allemands ne détestèrent pas les Canadiens pour leur cruauté, leur brutalité ou leur idéologie. Ils les détestèrent parce qu’ils étaient imprévisibles, persistants et terriblement efficaces. Et pire encore du point de vue allemand, le Canada se battait comme une petite armée qui ne savait pas qu’elle était petite. Ils étaient partout, apparaissant sur des crêtes qu’on croyait impossible d’atteindre, ne battant pas en retraite comme les commandants allemands l’anticipaient.
Le front italien n’était semblable à aucun autre champ de bataille de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’était pas un terrain adapté aux chars. Pour les Allemands, l’Italie était un paradis défensif : des montagnes sans fin, des défilés étroits, des rivières coupant des vallées abruptes, et des lignes fortifiées taillées dans la pierre. C’étaient des divisions aguerries, survivantes endurcies d’Afrique, de Sicile et du Front de l’Est, qui avaient transformé le pays en forteresse. Du point de vue allemand, les Canadiens entraient dans un champ de bataille conçu pour broyer les forces blindées. Les routes italiennes étaient étroites et sinueuses, les traversées de rivière étaient minées, les collines forçaient les chars dans des zones de tir prévisibles.
C’est pourquoi les commandants allemands étaient déroutés et furieux de voir les unités blindées canadiennes trouver sans cesse des moyens de percer. Un officier d’artillerie allemand écrivit plus tard : “Leurs blindés n’auraient jamais dû pouvoir se déplacer dans un tel terrain. Pourtant, ils avançaient plus vite que prévu et frappaient là où nous ne les attendions pas.” Les Canadiens employèrent une combinaison d’ingénieurs, de troupes de reconnaissance et de patrouilles agressives pour contourner les défenses allemandes. Ils construisaient des routes improvisées, traînant des chars sur des pentes que la Wehrmacht jugeait impossibles, et coordonnaient avec précision les assauts infanterie-blindée.
Nulle part cela ne fut plus visible que dans la vallée du Liri en 1944, le long de la Ligne Hitler. Au lieu de s’enliser comme les Américains et les Britanniques, la 5e Division lança une série d’attaques méthodiques et acharnées. Un major allemand la décrivit avec amertume : “Les Canadiens attaquent comme l’eau brisant la pierre. Des fissures lentes, puis tout le mur s’effondre.” Les Allemands furent contraints de détourner des compagnies d’élite pour arrêter les percées canadiennes. Ces troupes destinées aux secteurs les plus importants durent être redéployées pour faire face à ces Canadiens aux insignes bordeaux si agaçants.
À la fin de 1944, la 5e Division Blindée canadienne était devenue une présence familière mais indésirable pour les défenseurs allemands. Ils les désignèrent avec un mélange d’irritation et d’exaspération : “Die verfluchten Kanadier” (Les maudits Canadiens). L’Italie, le cimetière des divisions, ne les avait pas brisés. Au contraire, les Canadiens avaient appris à utiliser le terrain aussi bien que les Allemands. Plus la 5e Division Blindée connaissait de succès, plus les Allemands détestaient les affronter.
Pour les Allemands, ce qui était le plus déstabilisant chez la Cinquième Division Blindée canadienne n’était pas le matériel, mais leur manière de se déplacer. Leurs chars étaient des Shermans, des machines que la Wehrmacht ne craignait pas autant que les Panthers ou les Tigers. Pourtant, les Canadiens continuaient d’apparaître sous des angles que l’on pensait totalement inaccessible, lançant des attaques qui ne correspondaient à aucun schéma reconnaissable. Les commandants allemands commencèrent à les appeler “Die Maroon Maschine”, un surnom qui devint rapidement l’aveu d’un danger réel.
Les Canadiens combattaient avec un rythme que les vétérans allemands n’avaient jamais connu. Ils avançaient lentement, méthodiquement, presque paresseusement. Puis, au moment où les Allemands s’y attendaient le moins, leurs Shermans jaillissaient dans une explosion soudaine de vitesse et de feu. Les Canadiens refusaient de se conformer à quelque doctrine que ce soit. Les journaux allemands décrivaient la même frustration répétée : des éclaireurs canadiens disparaissant dans un terrain que les Allemands jugeaient impossible, puis des colonnes de Shermans canadiens surgissant dans ces ouvertures avant que les défenseurs ne comprennent par où l’ennemi était passé. Ce n’était pas du chaos, c’était de la patience, suivi d’une brutalité soudaine.
Aux yeux des officiers Panzergrenadier, les Canadiens manœuvraient avec un calme troublant. Les équipes antichars se plaignaient que les Shermans n’approchaient jamais en ligne droite et évidente. Ils se déplaçaient par courtes rafales imprévisibles, collés au couvert, obligeant les artilleurs allemands à se repositionner constamment. Ce qui irritait le plus les défenseurs allemands, c’était la coordination parfaite entre l’infanterie et les blindés canadiens. Les fantassins avançaient presque épaule contre épaule avec leurs chars, leur permettant de protéger les Shermans contre les embuscades au Panzerfaust.
Et puis, il y avait le silence. Les officiers allemands commentaient sans cesse à quel point les assauts canadiens paraissaient silencieux. Pas de cri à l’américaine, aucun bruit révélateur. L’infanterie canadienne avançait avec la régularité d’hommes montant un long escalier plutôt que de soldats courant vers la mort. Un vétéran écrivit plus tard : “Les Américains s’annoncent à un kilomètre, les Canadiens seulement lorsqu’ils sont prêts à tuer.” Les Canadiens étaient frais comparés aux unités épuisées de la Wehrmacht. Ils étaient relevés plus souvent, mieux approvisionnés et combattaient chaque bataille avec l’énergie de troupes encore intactes. Pour les défenseurs allemands fatigués, ces assaillants ressemblaient à une machine refusant de ralentir.
La Ligne Gothique était le chef-d’œuvre de l’ingénierie défensive allemande en Italie, que les commandants allemands croyaient incassable. Pourtant, dès le premier jour de l’assaut, le renseignement allemand constata que les Canadiens se déplaçaient dans des endroits où les chars n’étaient pas censés aller. Les rapports allemands répétèrent la même phrase : “Ils ne devraient pas être ici.” Des mois de travaux défensifs allemands s’évaporèrent en quelques heures. Le ressentiment grandit rapidement. La Ligne Gothique avait été conçue pour résister à tout, sauf à une division blindée refusant d’obéir aux lois du terrain. La nuit n’apporta aucun répit. Les Canadiens lancèrent des mouvements blindés dans l’obscurité, une manœuvre que les Allemands considéraient comme suicidaire. Pourtant, les Shermans s’avançaient, phares éteints, guidés par des éclaireurs rampants.
Début septembre 1944, la Ligne Gothique s’effondrait sous la pression implacable des Canadiens. La percée ressemblait moins à une défaite qu’à une humiliation. Un officier allemand nota sa frustration : “Il n’y a aucune honte à perdre contre les Canadiens. La honte, c’est d’avoir cru qu’ils seraient prévisibles.” Ce fut le moment où la haine allemande se transforma en reconnaissance : la Cinquième Division Blindée canadienne comptait parmi les ennemis les plus dangereux que la Wehrmacht avait affrontés dans toute la campagne d’Italie.
S’il y avait un groupe de soldats allemands qui exprimaient le plus d’amertume, c’était bien les équipages de Panzer. Pour un tankiste allemand, le Sherman était un ennemi familier, on ne le craignait pas. Mais les équipages canadiens de Sherman combattaient différemment. Les rapports allemands notent que les tankistes canadiens étaient des chasseurs patients, non des attaquants téméraires. Ils avançaient par courtes rafales silencieuses, cherchant toujours le flanc vulnérable. Ils abordaient les duels de char comme un art disciplinaire.
Un tireur de la 26e Division Panzergrenadier décrivit sa première rencontre : “Nous les attendions sur la route. Au lieu de cela, ils sont arrivés derrière le verger, rampant à travers les arbres. Nous avons perdu deux canons avant de les voir clairement.” Ce qui agaçait particulièrement les équipages allemands était la maîtrise canadienne de la pression multidirectionnelle. Alors que les chars britanniques ou américains combattaient souvent en large front, les chefs de troupes canadiens préféraient diviser leurs blindés en petites équipes flexibles. Ces équipes exploraient, se retiraient, contournaient et réapparaissaient de manière inattendue, créant l’illusion que les Canadiens avaient beaucoup plus de chars qu’en réalité.
Une autre plainte récurrente concernait la volonté des Canadiens de combattre à des distances plus proches que la plupart des autres équipages alliés, là où le canon de 75 mm du Sherman était le plus précis. À la fin de 1944, les tankistes allemands connaissaient une vérité sombre : les Shermans n’étaient dangereux que lorsqu’ils avaient des équipages canadiens à l’intérieur. Derrière chaque plainte, se trouvait un respect silencieux. Les Canadiens n’étaient pas une force blindée massive, mais ils combattaient comme des duellistes, chaque engagement traité avec discipline, patience et la détermination tranquille de soldats refusant d’accepter l’infériorité.
Pour les troupes allemandes combattantes en Italie, il y avait quelque chose d’étrange chez les Canadiens, quelque chose qui allait au-delà des tactiques ou de l’équipement : c’était psychologique. Les soldats allemands étaient épuisés. Pourtant, les Canadiens apparaissaient sur le champ de bataille avec une attitude presque insultante. Ils souriaient, plaisantaient, prenaient des photos entre deux combats. Leurs uniformes semblaient plus propres qu’ils ne devraient l’être dans la boue des Apennins. Un Feldwebel allemand écrivit fin 1944 : “Ils marchent comme s’ils étaient en vacances, comme si la guerre n’était qu’un désagrément et non un destin qui consume tout.”
Le contraste touchait un point sensible. L’infanterie canadienne paraissait rarement démoralisée. Lorsqu’ils avançaient, les Canadiens progressaient avec l’énergie d’une armée encore intacte, non vidée par des années d’attrition. Ils semblaient trop calmes, trop posés, trop irritants dans leur optimisme. Cette maîtrise inébranlable donnait l’impression que les Canadiens étaient immunisés contre la dureté de la campagne d’Italie. La persistance implacable des Canadiens nourrissait chez les Allemands le sentiment qu’ils affrontaient une force qui ne se fatiguait jamais.
Cet avantage psychologique s’accentuait à travers de petits détails : leur posture détendue, la manière désinvolte dont ils peignaient des slogans sur leurs véhicules. Aux yeux allemands épuisés, ces détails devinrent les symboles de quelque chose d’insupportable. Les Canadiens se battaient comme des hommes qui croyaient toujours pouvoir gagner, et cette confiance émanant d’une armée relativement petite était plus démoralisante qu’un barrage d’artillerie. Les Canadiens n’étaient pas seulement des soldats, ils étaient un message : “Nous ne sommes pas brisés, nous ne sommes pas fatigués, et nous ne partirons pas.”
Début 1945, l’armée allemande en Italie n’était plus que l’ombre d’elle-même. Les officiers allemands réalisèrent qu’ils ne pouvaient plus arrêter les Canadiens. La 5e Division Blindée, endurcie par deux années de guerre en montagne, combattit avec une confiance et une précision qui contrastait brutalement avec l’épuisement de la Wehrmacht. Les unités canadiennes ne laissaient aucun répit à l’ennemi. Dès que les Allemands se retiraient d’une crête, les Canadiens étaient déjà en train d’escalader la suivante.
Les tactiques canadiennes évoluèrent : leurs chars n’avançaient pas comme un fer de lance unique, mais comme plusieurs petites équipes, frappant depuis plusieurs directions, faisant craindre aux commandants allemands un encerclement même lorsque les Canadiens étaient en infériorité numérique. Cette crainte n’était pas infondée. Les forces allemandes commencèrent à abandonner leur position plus tôt que prévu. Un officier écrit : “Nous ne craignons pas leur puissance, nous craignions leur persistance.”
Lorsque les Allemands se retirèrent définitivement d’Italie, ils eurent le sentiment que la 5e Division Blindée canadienne était devenue moins un ennemi qu’une force de la nature, quelque chose que l’on peut retarder mais jamais arrêter. Un capitaine allemand résuma la situation : “Nous ne choisissons plus la manière dont nous nous retirons. Ce sont les Canadiens qui la choisissent pour nous.”
En relisant les témoignages allemands d’après-guerre, le terme qu’ils utilisaient le plus souvent, “verflucht” (maudit), exprimait mieux la réalité qu’une simple haine : un mélange de ressentiment, de crainte et de respect réticent. Ils ne les détestèrent pas pour leur brutalité — les Canadiens étaient connus pour leur conduite honorable. Ils ne les détestèrent pas pour leur supériorité numérique ou leur équipement. Ce qu’ils détestaient, c’était l’incommodité de les affronter, leur imprévisibilité, leur efficacité et leur refus obstiné de céder.
Les soldats canadiens combattaient comme un paradoxe : décontractés jusqu’au moment du combat, où ils devenaient précis, concentrés et d’une détermination inébranlable. Leur organisation combinait la discipline britannique et l’agressivité américaine, enveloppée d’un calme typiquement canadien. Un officier Panzer l’exprima parfaitement : “Ils combattaient comme des loups, pas comme des moutons. De petits groupes coordonnés, intelligents, toujours à la recherche de la faiblesse.”
Les Allemands reconnurent également que le Canada était une nation jeune sans ambitions impériales, pourtant ses soldats se battaient avec la détermination d’un peuple défendant quelque chose de personnel. C’était leur moral, cette incapacité à s’user, qui les rendait dangereux.
Ce qui demeura, ce fut la reconnaissance que la Cinquième Division Blindée canadienne avait agi bien au-delà de ce que sa taille laissait prévoir : une petite armée avec une grande attitude, une force modeste qui frappait bien au-dessus de son poids. Une division qui grava sa réputation dans les montagnes d’Italie grâce à son endurance, son intelligence et sa férocité silencieuse. Les Allemands ne les oublièrent jamais, non pas parce qu’ils les haïssaient, mais parce qu’ils savaient exactement à quel point les Canadiens s’étaient battus. Au final, les insignes bordeaux ne devinrent pas un symbole d’agacement, mais un symbole de respect gagné sous le feu.