Année 218 après Jésus-Christ. Dans les salles dorées du palais impérial de Rome, un garçon de 14 ans vient d’être proclamé empereur du monde connu. Son nom est Varius Avitus Bastianus, mais l’histoire le connaîtra sous un autre nom, un nom qui deviendra synonyme de débauche et de transgression totale des normes romaines. Les sénateurs qui assistent à son couronnement ne peuvent pas encore imaginer ce qui va se dérouler au cours des quatre années suivantes, quatre années qui redéfiniront les limites mêmes de la décadence impériale. Ce jeune empereur, que nous appelons aujourd’hui Héliogabale, transformera le centre du pouvoir romain en un spectacle d’excès sexuel si extraordinaire que même les chroniqueurs habitués aux débauches de Néron et Caligula peineront à trouver les mots pour les décrire.

Et pour comprendre l’ampleur de ce qui va se produire, il faut d’abord saisir qui était réellement ce garçon. Héliogabale n’était pas un Romain traditionnel. Il était le grand prêtre du dieu solaire Elagabal dans la cité syrienne d’Émèse, élevé dans des rituels orientaux qui semblaient étranges et scandaleux aux yeux romains. Sa grand-mère, Julia Maesa, sœur de l’impératrice Julia Domna, orchestre un coup d’État militaire pour le placer sur le trône, exploitant la ressemblance du jeune garçon avec l’empereur Caracalla pour prétendre qu’il était son fils illégitime. Les Légions de Syrie se rallient à cette revendication. Et en quelques mois, ce prêtre adolescent d’un culte solaire oriental se retrouve maître absolu de l’Empire romain. Ce que personne n’anticipe, c’est que cet adolescent utilisera son pouvoir illimité non pas pour gouverner, mais pour transformer Rome en extension de ses fantasmes les plus extrêmes.
L’historien romain Cassius Dio, contemporain d’Héliogabale et témoin direct de son règne, nous fournit les récits les plus détaillés et les plus troublants. Dans son Histoire romaine, Cassius Dio décrit comment, dès les premiers mois de son règne, Héliogabale commence à bouleverser tous les protocoles du palais impérial. Le jeune empereur refuse de porter la toge traditionnelle des hommes romains, préférant les robes de soie orientale brodées d’or et de pierres précieuses, des vêtements que les Romains associent exclusivement aux femmes et aux prêtres orientaux. Mais ce n’était que le début d’une transformation beaucoup plus profonde et beaucoup plus scandaleuse. Selon les chroniques détaillées de Cassius Dio et d’Hérodien, autre historien contemporain, Héliogabale commence à se présenter publiquement non pas comme un homme, mais comme une femme. Il insiste pour être appelé non pas Dominus mais Domina, non pas seigneur mais dame. Il se fait maquiller avec les cosmétiques les plus raffinés disponibles dans l’empire, utilisant du blanc de plomb pour blanchir sa peau et du rouge à base de cinabre pour ses lèvres et ses joues, à un degré qui choque même les courtisans habitués aux excès impériaux. L’historien de l’Histoire Auguste (compilation du IVe siècle basée sur des sources contemporaines) rapporte qu’Héliogabale portait des perruques élaborées de cheveux blonds importés de Germanie et qu’il s’épilait méticuleusement tout le corps, une pratique considérée comme profondément efféminée et dégradante pour un homme romain, et absolument inconcevable pour un empereur.
Mais ce qui horrifie vraiment l’establishment romain, ce ne sont pas simplement les apparences. C’est ce qu’Héliogabale fait ensuite. Les sources historiques nous apprennent qu’il transforme des sections entières du palais impérial en ce que les chroniqueurs décrivent comme un lupanar impérial, un bordel opérant au cœur même du pouvoir romain. Cassius Dio rapporte avec un dégoût à peine dissimulé qu’Héliogabale fait aménager une chambre spéciale dans le palais, décorée de manière provoquante, où il se positionne lui-même comme une prostituée, portant des vêtements transparents et sollicitant activement les hommes qui passent dans les couloirs du palais. L’empereur du monde civilisé, descendant supposé de dynasties impériales, se tient dans l’embrasure d’une porte dorée, maquillée et parfumé, imitant les gestes et le langage des prostituées qui travaillaient dans les quartiers les plus sordides de Rome. L’Histoire Auguste fournit des détails encore plus spécifiques et encore plus troublants. Le texte affirme qu’Héliogabale ne se contentait pas de jouer ce rôle en privé. Il organisait ce que les sources appellent des performances publiques où il prenait ouvertement le rôle passif dans des actes sexuels, une position considérée comme la plus humiliante et la plus dégradante qu’un homme romain libre, et surtout un empereur, puisse occuper. Dans la mentalité romaine rigidement hiérarchisée, la masculinité était définie par la domination et la pénétration active. Être pénétré était considéré comme une soumission totale, appropriée uniquement pour les femmes, les esclaves et les ennemis vaincus. Qu’un empereur adopte volontairement ce rôle représentait une subversion complète et choquante de tous les codes de pouvoir et de masculinité qui soutenaient la société romaine.
Les chroniqueurs rapportent qu’Héliogabale allait encore plus loin. Il demande publiquement aux médecins impériaux de lui créer des organes génitaux féminins. Cassius Dio mentionne que l’empereur offrait des sommes colossales – des fortunes qui pourraient financer des légions entières – à n’importe quel médecin capable de le transformer physiquement en femme. À une époque où une telle transformation chirurgicale était impossible, cette demande elle-même révèle quelque chose de profond et de troublant sur l’état psychologique de ce jeune empereur. Ce n’était pas simplement une performance ou une provocation, c’était une dysphorie authentique exprimée de la manière la plus publique et la plus scandaleuse possible au sommet du pouvoir impérial.
L’Histoire Auguste décrit comment Héliogabale se marie cinq fois pendant son règne de quatre ans, un record même pour les empereurs romains connus pour leurs mariages multiples. Mais ce qui rend ces mariages particulièrement scandaleux, c’est leur nature. Trois de ces mariages sont avec des femmes, suivant au moins superficiellement les conventions romaines. Mais les deux autres mariages sont différents. Les sources indiquent qu’Héliogabale se marie publiquement avec des hommes, se positionnant lui-même explicitement comme l’épouse dans ses unions. L’un de ses mariages est avec un esclave nommé Hiéroclès, un conducteur de char blond venu de Carie. Cassius Dio rapporte que pendant ce mariage, Héliogabale insiste pour être appelé maîtresse et reine de Hiéroclès, et qu’il lui donne un pouvoir politique considérable, scandalisant ainsi totalement les hiérarchies rigides de pouvoir, de statut et de genre qui structuraient la société romaine. Un autre mariage encore plus provocateur est célébré avec Zoticus, un athlète réputé pour la taille extraordinaire de ses organes génitaux. L’Histoire Auguste relate que ce mariage est organisé avec toute la pompe et le cérémonial réservés aux mariages impériaux traditionnels, mais avec Héliogabale jouant explicitement le rôle de la mariée. Les témoins rapportent que l’empereur porte un voile nuptial et qu’il est donné à son époux dans une cérémonie qui parodie et inverse complètement les rituels matrimoniaux romains sacrés. Pour les Romains qui assistent à ces spectacles ou qui en entendent parler, ce n’est pas simplement scandaleux sur le plan moral ou sexuel. C’est une violation fondamentale de l’ordre cosmique lui-même, une subversion totale des rôles de genre considérés comme naturels et divins.
Mais les transgressions sexuelles d’Héliogabale ne se limitent pas à ses propres pratiques. Les sources historiques décrivent comment il impose ses valeurs bouleversées à l’ensemble de la cour impériale. Cassius Dio raconte qu’Héliogabale commence à promouvoir des hommes aux positions les plus élevées de l’État romain, non pas en fonction de leurs compétences militaires, de leur expérience administrative ou de leur lignée aristocratique, mais uniquement en fonction de la taille de leurs organes génitaux. Des inspections physiques humiliantes sont organisées où des candidats aux postes de gouverneurs provinciaux, de commandants militaires et de conseillers impériaux sont évalués et sélectionnés sur la base de leurs attributs physiques sexuels. C’est une bureaucratie de l’absurde et de la débauche où les critères traditionnels de mérite romain sont remplacés par les fantasmes sexuels d’un adolescent omnipotent.
L’Histoire Auguste fournit un récit particulièrement troublant d’un banquet impérial organisé par Héliogabale. Contrairement aux banquets traditionnels où les sénateurs et les généraux discutaient de politique et de stratégie militaire, ce banquet est conçu comme un spectacle sexuel élaboré. L’empereur fait venir des prostituées, des danseurs et des acteurs, tous engagés dans des actes sexuels explicites pendant que les invités de haut rang, y compris des sénateurs âgés et des généraux décorés, sont forcés de regarder et, selon certains récits, de participer. Les chroniqueurs décrivent des scènes de débauche organisées où les conventions sociales sont systématiquement violées et où les témoins sont complices malgré eux d’un spectacle qui détruit les frontières entre public et privé, entre sacré et profane, entre digne et dégradant.
Il y a aussi les récits concernant les pratiques religieuses qu’Héliogabale introduit à Rome. Le jeune empereur ne se contente pas d’être prêtre d’Elagabal. Il tente d’imposer ce culte oriental comme religion suprême de l’empire. Il fait construire un temple massif sur le Palatin, l’Elagabalium, et y transporte les objets sacrés les plus vénérés de Rome, y compris le feu de Vesta et les boucliers sacrés des Saliens, les intégrant dans le culte du dieu solaire syrien. Mais ce qui scandalise particulièrement les Romains, ce sont les rituels sexuels qui accompagnent ce nouveau culte. Les sources rapportent qu’Héliogabale organise des cérémonies où la sexualité joue un rôle central, incluant des danses rituelles qu’il exécute lui-même vêtu de robes de prêtresse, dans des performances qui mélangent dévotions religieuses et exhibitions sexuelles d’une manière qui viole profondément les sensibilités religieuses romaines traditionnelles. Cassius Dio mentionne également une pratique particulièrement bizarre et troublante : Héliogabale fait organiser ce que les sources décrivent comme des mariages rituels entre le dieu Elagabal et diverses déesses romaines. La pierre noire sacrée représentant Elagabal, transportée depuis la Syrie et installée dans le temple romain, est symboliquement mariée à Minerve, puis à Urania, la déesse carthaginoise. Ces cérémonies, accompagnées de processions élaborées à travers Rome, sont perçues non pas comme des innovations religieuses légitimes, mais comme des violations sacrilèges, des profanations des cultes romains traditionnels orchestrées par un empereur adolescent obsédé par le sexe et le rituel.
L’Histoire Auguste rapporte qu’Héliogabale développe une obsession pour collectionner des hommes avec des attributs physiques extrêmes. Il envoie des agents à travers tout l’empire avec la mission spécifique de trouver et de ramener à Rome des hommes réputés pour leurs capacités sexuelles extraordinaires. Ces hommes sont ensuite intégrés à ce que les chroniqueurs décrivent comme un harem masculin personnel de l’empereur, une inversion complète du harem féminin traditionnel que les empereurs et les rois orientaux maintenaient. Ses favoris sexuels reçoivent des titres, des richesses et du pouvoir politique, érigeant une hiérarchie de cour basée entièrement sur la faveur sexuelle plutôt que sur le mérite ou la naissance, scandalisant ainsi les fondements mêmes de l’ordre social romain. Un incident particulier mentionné dans les sources révèle l’étendue de la transgression d’Héliogabale. Lors d’une cérémonie publique, l’empereur apparaît complètement rasé et épilé, portant une robe transparente qui ne cache rien de son corps, dansant de manière provoquante devant une foule de citoyens romains scandalisés et de dignitaires étrangers abasourdis. Ce n’était pas une performance privée dans les confins du palais. C’était un spectacle public, une déclaration délibérée que l’empereur de Rome, la figure censée incarner la Virtus romaine, la masculinité et la dignité militaire, rejetaient complètement ces idéaux et les remplaçaient par quelque chose que les Romains ne pouvaient même pas nommer sans dégoût.
Les chroniqueurs décrivent également comment Héliogabale transforme physiquement les espaces du palais impérial pour refléter ses obsessions. Des chambres traditionnellement utilisées pour les Conseils d’État et les audiences officielles sont redécorées avec des tissus orientaux luxueux, des miroirs massifs importés à grand frais et des lits élaborés conçus pour des performances sexuelles. Le palais, centre traditionnel du pouvoir militaire et administratif romain, devient quelque chose d’autre entièrement : un espace dédié à l’exploration des frontières sexuelles et de genre, au détriment complet de la fonction gouvernementale. Les sénateurs convoqués pour des audiences découvrent qu’ils doivent naviguer à travers des espaces qui ressemblent plus à des lupanars orientaux qu’à des salles de pouvoir impérial.
L’Histoire Auguste rapporte une anecdote particulièrement révélatrice : Héliogabale organise un banquet où tous les invités sont des hommes qui, comme lui, préfèrent le rôle passif dans les relations sexuelles, ce que les Romains appelaient avec mépris les pathici ou les cinaedi. Ce banquet n’est pas simplement une réunion sociale ; c’est une déclaration politique, une tentative de créer une communauté et une légitimité autour de pratiques que la société romaine considérait comme profondément honteuses. En réunissant ces hommes au palais impérial, en les honorant et en les célébrant, Héliogabale tente de redéfinir ce qui est acceptable, de transformer la honte en fierté, l’abject en noble. C’était une révolution culturelle radicale imposée depuis le sommet du pouvoir, et elle échoue complètement face à la résistance massive de l’établissement romain traditionnel.
Ce qui est frappant dans les récits historiques, c’est la réaction de l’élite romaine. Initialement, les sénateurs et les généraux semblent paralysés, incapables de comprendre comment répondre à un empereur qui viole si complètement toutes les normes. Héliogabale possède le pouvoir absolu. Il contrôle les légions, ou du moins sa grand-mère et ses conseillers le font en son nom. Il peut ordonner l’exécution de n’importe quel opposant, mais son comportement devient si extrême, si incompréhensible dans le cadre des valeurs romaines, que l’opposition commence inévitablement à se cristalliser. Les soldats de la garde prétorienne, censés protéger l’empereur, commencent à murmurer leur mécontentement. Les sénateurs humiliés par les spectacles auxquels ils sont forcés d’assister commencent à comploter. La famille impériale elle-même, qui a orchestré l’ascension d’Héliogabale, commence à comprendre que ce jeune empereur est devenu un danger mortel pour leur propre survie. Julia Maesa, la grand-mère qui a mis Héliogabale sur le trône, réalise qu’elle doit agir pour sauver la dynastie. Elle commence à promouvoir son autre petit-fils, Alexandre Sévère, alors âgé de 13 ans, comme alternative plus acceptable. Alexandre est présenté comme tout ce qu’Héliogabale n’est pas : traditionnel, respectueux des coutumes romaines, intéressé par l’administration et la gouvernance plutôt que par la débauche. Cassius Dio décrit comment la popularité d’Alexandre augmente rapidement parmi les soldats et les sénateurs, précisément parce qu’il représente un retour à la normalité, un rejet des quatre années de chaos sexuel et religieux imposé par Héliogabale.
Le 11 mars 222 après Jésus-Christ, après un règne de seulement quatre ans, la fin arrive pour Héliogabale. Les détails précis varient selon les sources, mais le récit général est cohérent. La garde prétorienne, encouragée par Julia Maesa et l’establishment sénatorial, se révolte. Héliogabale et sa mère Julia Soaemias tentent de fuir, se cachant, selon certains récits, dans des latrines du palais, un détail qui semble presque trop symbolique. Ils sont découverts, traînés dehors et assassinés. L’Histoire Auguste rapporte que le corps d’Héliogabale est mutilé, traîné à travers les rues de Rome par une foule en colère et finalement jeté dans le Tibre, le fleuve qui traverse la ville. C’était un traitement réservé aux criminels les plus vils, une dénégation de sépulture considérée comme la pire des humiliations posthumes. L’empereur qui avait passé quatre ans à violer toutes les conventions romaines reçoit lui-même le traitement le plus violemment anti-conventionnel que Rome puisse infliger. Immédiatement après sa mort commence un processus systématique d’effacement. Le Sénat romain vote la Damnatio Memoriae, la condamnation de la mémoire, un décret visant à effacer Héliogabale de l’histoire officielle. Ses statues sont détruites, ses inscriptions sont martelées des monuments publics, ses lois sont annulées. Les historiens qui écrivent sur lui le font avec un dégoût et une horreur viscérale, produisant les récits que nous avons aujourd’hui, des textes remplis de condamnations morales, mais aussi de détails troublants qui révèlent l’étendue de ce qui s’est produit. Ces chroniqueurs ne pouvaient pas simplement ignorer Héliogabale. Son règne était trop scandaleux, trop extraordinaire dans sa transgression pour être passé sous silence, mais ils pouvaient s’assurer que son nom soit à jamais associé à la honte, à la décadence et à l’échec.
Ce qui rend l’histoire d’Héliogabale particulièrement troublante pour les historiens modernes, c’est la question de savoir dans quelle mesure nous pouvons faire confiance à ces sources. Cassius Dio était un sénateur conservateur profondément hostile à Héliogabale. L’Histoire Auguste a été compilée plus d’un siècle après les événements et contient des exagérations évidentes et peut-être même des inventions complètes. Il est possible, voire probable, que certains des détails les plus scandaleux aient été amplifiés ou même fabriqués par des ennemis politiques cherchant à justifier le meurtre de l’empereur. Même si nous mettons de côté les exagérations possibles, même si nous ne retenons que les éléments que plusieurs sources indépendantes confirment, un portrait cohérent émerge d’un jeune empereur qui a vraiment tenté de redéfinir radicalement le genre, la sexualité et le pouvoir impérial d’une manière que Rome ne pouvait absolument pas accepter. Certains historiens modernes ont suggéré qu’Héliogabale pourrait être compris comme une personne transgenre, quelqu’un né dans un corps masculin mais s’identifiant comme femme, tentant d’exprimer cette identité de la seule manière disponible dans le contexte du IIIe siècle. Si cette interprétation est correcte, alors l’histoire d’Héliogabale devient encore plus tragique : un adolescent aux prises avec des questions d’identité de genre, possédant un pouvoir politique absolu, mais aucun cadre culturel ou médical pour comprendre ou exprimer qui il était vraiment, finissant assassiné et effacé de l’histoire précisément pour avoir tenté d’être authentique. D’autres historiens résistent à cette interprétation, soulignant le danger d’imposer des concepts modernes sur des contextes anciens, suggérant qu’Héliogabale pourrait simplement avoir été un adolescent instable, corrompu par un pouvoir absolu à un âge trop jeune, exprimant sa rébellion et son instabilité à travers les violations les plus scandaleuses possibles des normes romaines. Ce qui reste indéniable, c’est l’impact d’Héliogabale sur la mémoire historique. Pendant des siècles, son nom a été invoqué comme l’exemple ultime de la décadence impériale, la preuve que Rome était en déclin moral terminal. Les moralistes chrétiens des siècles suivants utilisaient Héliogabale comme illustration de la dépravation païenne, justifiant la nécessité de la foi chrétienne pour purifier et réformer la société. Les écrivains de la Renaissance et des Lumières redécouvraient son histoire avec fascination et horreur, produisant des récits encore plus sensationnels. Aux XIXe et XXe siècles, Héliogabale devenait une figure de la littérature décadente, célébrée par certains artistes et écrivains comme un symbole de transgression totale, de liberté absolue par rapport aux conventions bourgeoises. Aujourd’hui, en repensant à Héliogabale à travers le prisme de compréhension moderne du genre, de la sexualité et du pouvoir, l’histoire devient encore plus complexe et troublante. Ce n’est pas simplement l’histoire d’un empereur dépravé. C’est l’histoire d’un conflit fondamental entre expression individuelle et norme sociale, entre pouvoir politique absolu et limites culturelles apparemment infranchissables, entre innovation radicale et tradition implacable. C’est aussi l’histoire d’un adolescent, quelle que soit la manière dont nous interprétons ses motivations et son identité, qui a été placé dans une position de pouvoir absolu et qu’il a utilisé pour explorer les frontières les plus extrêmes de la sexualité et du genre, payant finalement le prix ultime pour ces explorations.
Les pratiques sexuelles d’Héliogabale, telles que documentées par les chroniqueurs romains, restent parmi les plus scandaleuses jamais associées à un dirigeant dans l’histoire antique. Elles révèlent non seulement les possibilités extrêmes du pouvoir impérial absolu, mais aussi les limites rigides de ce que même un empereur omnipotent pouvait imposer à une société aux valeurs profondément enracinées. Héliogabale a tenté une révolution culturelle complète, utilisant son corps, sa sexualité et son autorité politique pour redéfinir ce qui était possible et acceptable. Il a échoué absolument, détruit par les forces mêmes qu’il tentait de transformer. Mais l’histoire de cet échec, préservée dans les textes scandaleux et hostiles de ses ennemis, continue de fasciner et de troubler, nous forçant à confronter des questions sur le pouvoir, l’identité, la sexualité et les limites de la transgression qui restent profondément pertinentes 2000 ans après sa mort violente et son effacement systématique de l’histoire officielle de Rome.